L'organisation des résistances contre
les politiques libérales
Les manifestations de Québec des 20 et 21 avril 2001 à
l'occasion du sommet des Amériques marquent à la
fois une prolongation et un tournant dans la qualité de
l'organisation des résistances contre les politiques libérales.
Elles sont riches d'enseignements pour les rendez-vous à
venir tant dans l'organisation que dans l'évolution du
front que nous commençons à constituer de manière
de plus en plus visible.
Une impression d'ensemble
"Québec marque un réel pas en avant si on
le compare à Seattle, par le nombre global des manifestants,
mais aussi par une participation beaucoup plus massive aux actions
directes" estimait Russ Davis, président de "Jobs
with Justice" du Massachuset, juste après les manifestations.
La manifestation était "politiquement" plus homogène
qu'à Seattle; si les participants étaient aussi
divers, leurs approches étaient moins "contournées",
plus direct. Les militant(e)s du Sierra Club, la principale organisation
écologiste américaine n'étaient pas, par
exemple, déguisés en tortue.
Si on compare Québec à deux autres de ces dates
qui ont marqué l'année 2000, Washington D.C. en
avril et Prague en septembre, la même conclusion s'impose.
Avant d'entrer un peu dans le détail, une première
impression d'ensemble : les manifestations faisaient incroyablement
penser aux journées de mai 1968 à Paris, au tout
du moins à l'idée que l'on peut s'en faire.
Pendant deux jours des milliers de personnes - probablement plus
de 10 000 - ont entouré le mur qui protégeait les
chefs d'États et ont participé peu ou prou à
la "bataille de Québec". La ville ne compte que
300 000 habitants et, même si de nombreux manifestants venaient
des Etats-Unis et du reste du Canada, le français était
la langue de loin la plus parlée dans les attroupements
qui entouraient le mur. Une réelle solidarité unissait
les habitants de la vieille ville, les étudiants - près
de 15 universités étaient en grève - et les
participants - des syndicalistes pour l'essentiel - à la
grande manifestation autorisée qui se déroulait
dans une autre partie de l'agglomération. On voyait des
morceaux de cortèges syndicaux ou de petits groupe de participants
au sommet parallèle "officiel" monter au mur
et en redescendre, très fier d'avoir, eux aussi, été
victimes des tirs de gaz lacrymogènes. Les reportages de
la radio québécoise eux aussi participaient de ce
climat : extrêmement hostiles aux manifestants avant le
jour j (les "casseurs" étaient supposés
venir des Etats-Unis), les journalistes, peut-être enivrés
par la présence massive de jeunes issus de la Belle Province,
faisaient monter le suspense en direct lors de la chute du mur
et des longs affrontements qui s'en sont suivis.
De ce point de vue, on peut dire, comme le fait le "Financial
Times" du 24 avril, que les manifestants de Québec
ont gagné la guerre de l'opinion, même s'ils n'ont
pas pu s'opposer au déroulement du sommet qui n'a été
retardé que d'une heure. La symbolique du "mur de
la honte", derrière lequel sont obligés de
se réfugier les chefs d'États, a joué un
rôle important dans la conquête de l'opinion. Les
résultats du sommet lui-même renforcent cette logique.
Rien de neuf (la date de 2005 est confirmée pour l'entrée
en vigueur de la ZLEA, la Zone de Libre Echange des Amériques),
si ce n'est une proclamation formelle en faveur de la démocratie
: un État qui dérogerait à ses principes
serait exclu de la zone de libre échange, mais sans qu'aucun
mécanisme, ni aucune normes ou instances ne soient prévus.
Les débats et clivages chez les manifestants
Deux lignes de clivage étaient clairement identifiables
: aux débats traditionnels entre radicaux et modérés,
il fallait rajouter les différences de sensibilité
entre francophones et anglophones.
La question québécoise se manifeste d'abord par
une méconnaissance réciproque. Les réseaux
militants sont tous différents (il n'existe aucune organisation
qui soit réellement "canadienne"), ils se fréquentent
peu et beaucoup ne se connaissent même pas.
A Québec, trois coalitions se sont formées et ont
joué un rôle actif dans les mobilisations.
Il y avait tout d'abord ceux qui organisaient le "Sommet
des peuples des Amériques", le contre sommet "officiel"
(il a été ouvert par le Premier Ministre), dans
lequel les syndicats étaient très présents.
Ce "Sommet des peuples" était lié à
"l'alliance sociale continentale" - ou hémisphérique
- dans laquelle on retrouve toutes les forces opposées
à la mondialisation libérale dans les Amériques,
de l'ORIT (qui regroupe les principaux syndicats) au CLOC, la
coordination des organisations rurales dans laquelle on trouve
Via Campesina ou la CONAIE d'Equateur. Dans le "Sommet des
peuples", qui a organisé la grande manifestation pacifique
du samedi 21, on retrouvait à peu près tout le monde,
de la "Marche mondiale des femmes" aux forces qui organisaient
en parallèle d'autres activités. Mais ce Sommet
des peuples" était dominé par les syndicats
québécois, très nombreux dans la rue le 21
avril, mais qui, à la différence des syndicats anglophones,
étaient soucieux d'éloigner les manifestants le
plus loin possible du mur et refusaient le mot d'ordre "non
à la ZLEA".
La deuxième coalition s'est formée sous le double
nom de OQP 2001, "Opération Québec Printemps
2001" ou de GOMM, "Groupe Opposé à la
Mondialisation des Marchés". OQP 2001 a organisé
une série d'ateliers et de conférence pendant que
le GOMM préparait une manifestation dès le vendredi
20 en direction du mur. On retrouvait dans ces coalitions des
réseaux jeunes, et de nombreuses associations dont ATTAC
Québec qui, comme les autres associations opposées
à la mondialisation libérale, est en phase de croissance
rapide. Sur le plan politique, cette coalition affirmait clairement
le mot d'ordre "non à la ZLEA".
La troisième coalition regroupait deux associations de
sensibilité anarchiste : le CLAC, "Convergence des
Luttes AntiCapitalistes", présent à Montréal
et le CASA, "Comité d'Accueil du Sommet des Amériques",
à Québec. Ce sont eux qui ont organisé les
manifestations les plus déterminées et qui ont fait
tomber le mur le 20 et le 21.
La question de la violence
Le problème mérite qu'on s'y arrête, car
il a toutes les chances de se poser à nouveau dans de prochaines
initiatives.
La première remarque porte sur la liberté de choix
des manifestants. A Québec, comme à Prague en septembre
dernier, des parcours identifiés par des couleurs ont été
mis au point, chacune d'entre elles indiquant un degré
de risque et d'engagement. Le groupe vert était le plus
pacifique, tant par le parcours choisi que par les formes d'actions
(des rouleaux de papiers hygiéniques envoyés de
l'autre côté du mur). Le groupe jaune, organisé
par le GOMM, se dirigeait, là aussi avec des méthodes
pacifiques, vers la partie du mur la plus proche du centre de
conférence. D'où la crainte d'une intervention policière
: le GOMM avait prévu, en tête de cortège,
des porteurs de ballons gonflés à l'hélium
qui pouvaient être lâché et indiquer ainsi
la nécessité de se disperser. Le groupe rouge, enfin,
formé par le CLAC et le CASA, était le plus déterminé
: mais les choses étaient claires, une sono répétait
régulièrement aux manifestants présents dans
ce cortège qu'il présentait des risques et que d'autres
choix étaient possibles.
La deuxième remarque porte sur le degré des violences
à Québec. Dans leur écrasante majorité,
les manifestants étaient non-violents, utilisant tout au
plus des moyens symboliques (une catapulte lançant des
ours en peluche sur les policiers était particulièrement
visible), ou renvoyant les munitions employées par la police
(la photo d'un manifestant utilisant sa canne de hockey sur glace
pour renvoyer les grenades lacrymogènes a été
publiée dans de nombreux journaux canadiens). Et même
ceux qui ont été plus loin, en participant à
la mise à bas du mur, semblaient s'être fixé
des bornes assez précises : les manifestants ne pénétraient
dans l'enceinte interdite que de quelques mètres et reculaient
dès que les policiers avançaient.
Cette combinaison entre la clarté dans les choix laissés
à chacun et le caractère symbolique - ou en tout
cas d'une violence limitée - des actions menées
facilitait la symbiose entre les différents groupes de
manifestants et le caractère populaire des initiatives,
y compris celles qui se déroulaient autour du mur.
Beaucoup d'autres choses pourraient êtres dits à
propos des mobilisations de Québec : sur l'importance des
alliances et coalitions, à l'échelle nationale et
internationale, sur l'ampleur du mouvement de la jeunesse ou sur
l'organisation en groupe d'affinité, un type d'organisation
qui, à Québec, a été mis en oeuvre
plus efficacement par les Américains que par les Québécois.
Mais cela a déjà été décrit
à propos de Seattle ou de Prague. Québec, à
cet égard, se situe dans la continuité des mobilisations
précédentes.
Christophe Aguiton, ATTAC - France
Courriel d'Information Attac 232
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