GÉNOVA, julio 2001: Retour sur le G-8 de Genova
 

 

Eléments de réflexion sur legalité, legitimité, violence

L'expérience de l'anti-G-8 de Gênes apparaît avec le temps riche d'enseignements si on veut bien analyser les stratégies mises en oeuvre au cours de ce face à face longuement préparé par les maîtres du monde et ceux qui contestent la globalisation capitaliste.

La " nuit chilienne " du blitz à l'école Armando Diaz et l'atmosphère de coup d'état latino-américain dans une ville militarisée posent le problème des limites de la démocratie dont l'Occident prétend être le champion. En face, la guerrilla urbaine, menée très consciemment par certains groupes, pose la question des stratégies de résistance de ceux qui contestent le programme néolibéral. Lorsqu'on a assisté aux événements de Gênes on ne peut plus se contenter de ramener les violences à la mise à sac de la ville par le Black Bloc, supposé être un petit groupe de casseurs, souvent manipulés par des policiers infiltrés. On ne peut pas non plus ignorer les divers courants qui considèrent qu'un certain niveau d'injustice sociale est une violence à laquelle on peut être conduit à répondre par des actes de désobéissance civile dont la qualification juridique est sujette à interprétation.

On aura désormais, quelques raisons de plus de critiquer le couple officiellement patenté:

néolibéralisme=démocratie. Le comportement de l'appareil répressif italien, dès avant l'ouverture du G8 a montré une démocratie qui redoute la contestation pacifique lorsqu'elle est trop massive .. L'expérience de Gênes permet aussi de s'interroger sur les limites de la démocratie dans un pays qui est sous la tutelle des Etats Unis depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et reste couverte de bases militaires et d'organismes d'espionnage américains. L'autre facteur ayant influé sur les particularités du G-8 de Gênes , est le fait que l'Italie soit soumise aux pressions du FMI et de la Banque mondiale pour parachever l'ajustement de ses structures étatiques au programme néolibéral , et que ce soit la mission principale du gouvernement Berlusconi.

On se laisserait volontiers aller à dire que Gênes est l'annonce d'un tournant dans les luttes contre la globalisation capitaliste qui se déroulent en pays développés. De quoi Gênes est-elle l'indicateur ' :

1. d'une véritable prise de conscience anti -globalisation capitaliste à l'échelle de l'Europe ou plutôt d'une massive résistance en Italie dans laquelle l'anti-Berlusconisme et l'anti-globalisation se confondraient '

2. Faut-il considérer la stratégie de la tension et les modalités des répression policières comme répondant à des spécificités italiennes ou à un concert défensif de l'Occident , ce qui lui donnerait valeur de paradigme pour le futur '

3. La diversité des modes de résistance ou lutte des anti-globalisation capitalistes (pas seulement la violence pure des Black Bloc) n'oblige-t-elle pas à ouvrir un débat sur les fondements des diverses approches , ce qui devrait ouvrir sur la confrontation entre légalité et légitimité et une évaluation prospective des limites de la démocratie dans le cadre du parachèvement du programme néo-libéral.

Le contexte du G8: le rôle des Etats-Unis

L'Italie est restée depuis la deuxième guerre mondiale sous la tutelle des Etats-Unis ; le prétexte de la lutte contre la maffia combiné à la lutte contre le communisme ayant servi d'outil de domination. Il est à peine normal dans ce cadre, que les Etats 'Unis aient envoyé , longtemps avant le sommet, leurs policiers anti-émeute de Los Angeles outre leurs agents de la CIA. Le Corriere della sera rapportait à la veille du G-8 que le président Bush redoutait le manque de professionnalisme de la police italienne, mais qu'il croyait à la force dissuasive du déploiement des blindés. L'Italie est sous l''il de Washington mais aussi étroitement surveillée par le FMI et la Banque mondiale . A la veille même du G-8 le gouvernement italien recevait une réprimande du FMI pour son énorme trou budgétaire (25,000 milliards) et l'inachèvement du programme de privatisation ; télécommunications, énergie électrique et pétrole pouvant rapporter à l'Etat 150,000 milliards de lires. En toile de fond du G-8 , le débat sur les restructurations s'intensifie ; le projet de flexibilisation du travail franchit une nouvelle frontière : la suppression de tout contrat pour le travail temporaire et son remplacement par un système de tickets horaires délivrés par des agences d'intérim . La bataille est ouverte sur la réforme du code du travail et du système de retraites en vue d'aboutir à un " pacte social " passant outre au refus de la centrale syndicale Cgil.

Les dirigeants des transnationales italiennes par contre, ne manquent pas une occasion de féliciter Berlusconi , ainsi Umberto Agnelli, a déclaré le 24 août dernier à Rimini que " Silvio Berlusconi a eu l'intuition géniale de comprendre qu'il y avait un vide politique en Italie. Au cours de la même réunion devant des jeunes , Agnelli a livré ses idées sur la manière dont l'Etat devrait être débarrassé de ses attributions en matière de santé, éducation et culture qui devraient passer à des ONG ".En effet des grandes entreprises italiennes ( regroupées dans la Confindustria) ont été à l'avant garde de la trans-nationalisation et de l'essaimage en Amérique Latine surtout au Brésil et en Argentine , où FIAT a utilisé les travailleurs de son usine de Cordoba comme cobayes pour expérimenter ses nouvelles méthodes d'exploitation des travailleurs qu'elle a ensuite ré-importées à Bari pour les appliquer à ses nationaux. Le rappel de cet exemple parmi d'autres comme celui de BENETTON (devenu propriétaire d'un grand morceau du territoire argentin en Patagonie), vise à rappeler les rapports spéciaux entre Georges Bush et son " disciple "Silvio Berlusconi qui, dans un discours à la veille de l'arrivée de Bush, annonçait par avance avant tout débat que l'Italie donnait son appui au bouclier anti-missile de Bush. Pendant le G-8, les marques d'allégeance de Berlusconi à Bush , et son idée d'un bon comportement anglo-saxon,ont frisé la caricature(interdiction aux génois de faire sécher leur linge aux fenêtres pendant le G-8)

Ce contexte de vassalité de l'Italie explique la volonté de bien faire, d'être à la hauteur de l'honneur qui est fait et de la confiance accordée à Berlusconi. Il est vrai que la décision de créer une Zone Rouge encerclant le c'ur médiéval de Gênes dans un blindage d'acier et de béton a été prise par le gouvernement antérieur. Mais il reste que l'organisation des cinq corps de répression de 20,000 hommes et la mise en 'uvre d'armes sophistiquées et de blindés et surtout le comportement violent de ces hommes, sont bien l''uvre du gouvernement Berlusconi.

A Gênes il y avait les corps spéciaux anti-émeute(Celere) sortes de gardes mobiles dépendant directement du Ministère de l'Intérieur (casques bleus brillants, uniforme gris bleu)( s'illustrant à Ecole Diaz), les carabiniers qui sont un corps d'armée (casques noirs, uniformes bleu-noir), les Guardia di Finanza (douaniers)(casque vert), les Guardia forestale (gardes forestiers- béret rouge), les GOM, police pénitentiaire, bérets verts dépendant du Ministère de la Justice(caserne de Bolzanetto). En outre, se trouvaient en civil, les agents des services spéciaux de la province de Gênes et de l'Etat central et enfin de l'intelligence militaire, et de l'anti-terrorisme, ce dernier ayant à sa tête Arnaldo de la Barbera, célèbre dans la lutte anti terroriste et qui crut revenue son heure de gloire en lançant le blitz contre l'école Armando Diaz le 21 juillet à minuit. Il n'est pas inutile de rappeler ceci pour expliquer le chaos dans les opérations repressives . Le défaut de coordination entre les divers corps répressifs et les incohérences ou les rivalités sont révélées par les auditions menées par la commission d'enquête parlementaire .

Mais ce qui semble important à retenir en rassemblant les observations du moment et les celles qui se sont révélées au cours de ces sept dernières semaines :

1. la réalité de la stratégie de la tension (durant les semaines précédant le G8, les journaux étaient remplis de menaces de bombes, lettres piégées , la population de Gênes incitées à quitter la ville devant l'arrivées des manifestants anti-G8 qui étaient présentés comme les hordes d'Attila . puis le déploiement de groupes armés et leur attitude agressive , bien avant un quelconque jet de pierre est la preuve d'un choix délibéré du gouvernement destiné soit à dissuader les uns par la terreur ,soit à provoquer les autres pour s'offrir l'occasion d'une manifestation de force . Cette stratégie ressemble fort à celle de la police anti-émeute des Etats-Unis, mais les Italiens par leur désordre et leur militarisme très approximatif, lui auront donné quelques tournures délirantes Mais il faut retenir que les policiers et soldats engagés dans cette opération de Gênes obéissaient à un endoctrinement , du moins un grand nombre d'entre eux . Les manifestants qui sont passés à Bolzanetto ou à l'hopital San Martino ont subi non seulement des coups mais des insultes destinées à les humilier : " répète " Che Guevara fils de putain ", répète " viva el Duce " " Vive Pinochet " et également " sales communistes " et des leçons " le communisme est fini ". Les policiers de la " Celere " avaient une ritournelle : " un, deux, trois vive Pinochet ,quatre cinq six mort aux juifs, sept huit neuf pas de pitié pour le petit nègre " .

Il est visible que ces policiers et militaires n'avaient pas reçu une quelconque formation leur expliquant qui étaient ces opposants à la globalisation capitaliste, qu'ils étaient pacifiques et qu'ils étaient là pour exposer des arguments rationnels . A leurs yeux ceux qui déferlaient sur Gênes étaient tous les " brutti communistes ". Cela évoque l'Amérique Latine , où la police et l'armée qualifient de " communiste ", un chômeur, un gréviste un militant sans-terre , un piquetero ou même simplement un militant syndical.

L'appareil répressif italien a fait du zèle dans l'ignorance . Il ressort de l'enquête , de l'aveu même d'Arnaldo de la Barbera, qu' il avait une méconnaissance du mouvement anti-mondialisation . En somme l'appareil répressif s'est comporté comme il l'aurait fait face à la contestation des italiens , par exemple comme il a fait à Naples au mois de mars dernier où il y a eu des centaines de blessés graves parmi les manifestants . En fait, la répression de Gênes n'est devenu un scandale que du fait de la mort de Carlo Giuliani et surtout parce que de nombreux étrangers ont subi des vexations et tortures . La preuve en est que à la fin du G8, lorsque le scandale du blitz de l'école Diaz ni les tortures de Bolzanetto n'était pas encore devenu international , Berlusconi a rendu visite aux policiers blessés et Bush a félicité la police pour le bon déroulement du G-8 . Le chef de la police De Gennaro rendait le GSF responsable des destructions de Gênes pour avoir abrité des manifestants violents.

La police italienne n'avait eu de cesse avant après le G-8, de dénoncer, à travers le mouvement anti-G-8 la reconstitution des Brigades Rouges . C'est la hantise des services spéciaux mais c'est aussi une tactique permettant de combattre les mouvements de luttes sociale ; de dénonciation du chômage et de l'exclusion sociale en en faisant des organisation terroristes .

La criminalisation de la contestation est un héritage du fascisme , que l'on retrouve pourtant dans tous les pays dès lors que les groupes ou classes opprimés s'organisent suffisamment pour défier le pouvoir des dominants . En Italie , face à la contestation contre les politiques d'ajustement structurel neolibéral le pouvoir en place , occupé par un grand nombre d'héritiers direct du régime fasciste, a l'impression de se trouver devant un remake de l'histoire . Gian Franco Fini est venu à Gênes et le bruit court que ses groupes de base ont tenté des provocations . Mais , aujourd'hui l'ancien Fascio se modernise dans une version berlusconnienne qui doit prendre le visage lisse de pseudo réalité des séries télévisées .

A Gênes, la police italienne a d'abord réglé ses comptes avec les mouvements contestataires italiens mais elle avait aussi la mission de faire face aux autres mouvements étrangers et elle a confondu les deux .

2. La contestation anti-mondialisation italienne a réuni une série très large de mouvements sociaux ayant des analyses et des méthodes de résistance très différentes .

Il est utile d'évoquer ce mouvement large et créatif parce qu'il pose les jalons d'un débat sur la contestation violente et non violente. Le GSF GENOA SOCIAL FORUM a réuni 791 organisations italiennes et 98 étrangères.
Les organisations contestataires italiennes qui sont la réponse des victimes des nouvelles formes d'exploitation du travail, des exclus du travail et du logement , peuvent être divisées en MODÉRÉ, DÉSOBEISSANTS ET RADICAUX : le réseau LILLIPUT rassemble des organisations d'obédience chrétienne qui militent pour le commerce équitable et solidaire, la justice économique et la paix, ils sont résolument non 'violents , mais il est à noter qu'à la piazza Manin, où ils faisaient un sit-in le vendredi après midi 20 juillet , ils ont reçu eux aussi des grenades lacrymogènes et des coups .

Parmi ceux qui prônent la désobéissance civile il y a les TUTE BIANCHE, ( uniformes blancs) dont le leader national est Luca Casarini. Il passe facilement de la désobéissance civile à ce qu'il appelle la désobéissance sociale " nous devons réagir à l'injustice ; il y a de plus en plus de SDF, alors nous devons occuper des logements ". A Gênes nous étions en situation d'auto-défense , nous avons lancé des pierres juste pour nous défendre des pistolets des carabiniers et des policiers ".

Parmi les RADICAUX se trouvent les 200 CENTRI SOCIALI, structures sociales autogérées, proche de courants de la pensée anarchiste, ont un développement autonome dans chaque région , Ils sont a Vicenza membre du courant YA BASTA, à Milan ils ont le nom de LEONCAVALLO, a Gênes ils ont le groupe ZAPATA et le groupe INMENSA, À TORINO ils se dénomment ASKATASUNA. L'un de leurs leaders Davide Farina affirme : " si l'ordre constitutionnel est illégitime et despotique, il faut le violer ". Parmi les radicaux se trouvent aussi les COBAS, mouvement syndicaliste de base , leur leader Piero Bernocchi revendique la pratique de l'autodéfense active .

Le Réseau NO GLOBAL est particulièrement actif à Naples . Son porte parole Francesco Caruso est très engagé dans la lutte contre le chômage massif dans tout le Mezzogiorno et dans la revendication d'un revenu minimum garanti.

Cette énumération a pour objet de montrer que la participation de tous ces mouvements à la contestation du G8 de Gênes correspond à leur ancrage profond dans la lutte contre le désastre social causé par l'ajustement structurel néolibéral . Leur critique du système est très directement liée à une pratique sociale. Ils n'adoptent pas la violence comme méthode à priori , mais ils ne refusent pas le débat sur violence et non violence : ils le posent en termes plus pragmatiques . Ainsi chez les Tute Bianche fraction désobéissance civile stricto sensu : " nous sommes opposés à la violence, mais comme dit le Dalai Lama, une certaine dose de violence est nécessaire , sinon on t'écrase " . Du côté des Centri Sociali , Daniele Farina du Leoncavallo affirme " si les forces de l'ordre sortent de la légalité, je ne peux pas condamner ceux qui réagissent " . Marco Beltrami du Centro Sociale de Imperia " le conflit social est utile s' il aboutit à une médiation politique. Si le gouvernement la refuse il assume la responsabilité des dérives violentes ".

Ce débat sur la violence va se poser à l'occasion de la réunion au sommet de l'OTAN à la fin septembre pour traiter du bouclier anti-missile . Cette réunion initialement prévue à Naples a été déplacée dans sa banlieue à Pozzuoli,où les autorités pensent pouvoir mieux contrôler les manifestants. Les membres des centres sociaux de Naples ont quelque raison de voir dans cette débauche de dépenses militaires une insulte à leur misère , et Vittorio Agnoletto au nom du GSF a proposé de remplacer des manifestations de rue par un rassemblement dans un stade pour débattre de l'utilisation civile des dépenses militaires .

La dénonciation internationale des violences policières de Gênes a provoqué une secousse sismique dans le monde politique : règlements de compte au sein de l'appareil répressif dont les modes d'action ont été brusquement portés au grand jour . Ainsi un intouchable haut responsable de l'anti-terrorisme Arnaldo la Barbera a eu un rôle peu honorable dans le blitz à l'école Diaz qui lui a valu un limogeage. Le zélé chef de l'escadron romain de la " Celere " Vincenzo Canterini aux allures de matamores dont les 70 policiers sont entrés les premiers dans l'école Diaz où ils ont passé 2 heures , a été lui aussi licencié.

Vincenzo Canterini a fait des révélations sur ses donneurs d'ordre qui appartiennent aux services spéciaux et ils affirme que les policiers en civil étaient entrés les premiers à l'Ecole Diaz et à l'école Pertini qui abritait le GSF. Il est clair en tout cas,pour l'observateur qui a assisté de son balcon à l'entrée de la rue Cesare Battisti, à cette opération militaire nocturne ; escadron de carabiniers bloquant la rue, hélicoptères rasant les toits et projetant un violent faisceau lumineux , sirènes d'ambulances , et cris des occupants du GSF " assassini " , que tout a pris fin lorsque des hommes en civil aux allures de vacanciers sont venus brièvement parler au chef d'escadron de carabiniers rassemblés place Merani, à 2 heures du matin du 22 juillet.

Le blitz sur l'école Armando Diaz décidé en fin d'après midi du 21 juillet au cours d'une réunion dans le bureau du chef de la police de Gênes. Le seul élément rationnel de ce opération guerrière semble être la destruction des ordinateurs du GSF contenant des informations sur les violences policières des jours précédants . L'assaut à l'école Diaz en face du GSF indique plutôt que les policiers, accusés par les medias de ne réprimer les membres du Black Bloc, et même de les laisser faire , voulaient se refaire une virginité et en même temps se venger des coups portés par certains manifestants, qui se trouvaient à leur merci enfermés dans une école.

Ce qu'il importe de retenir c'est que la formation de tous ces policiers et militaires et membres de services d'intelligence Digos ou Sco, sont tous disposés à pratiquer diverses sortes de violences et tortures sur des manifestants politiques . Les uns plus subtilement les autres plus grossièrement comme ce membres de la guardia forestale, qui s'est fièrement exhibé harnaché en robocop.

Il importe de retenir que la police italienne voyait l'ensemble des manifestants de Gênes comme elle voit les manifestants italiens et qu'elle les a traités comme tels.

L'avenir dira si le comportement de l'appareil répressif italien correspond à un manque de subtilité, ou bien si il est la réponse à une résistance sociale importante et inventive . Si on a appelé la nuit chilienne l'attaque de l'école Diaz et si on a évoqué l'Amérique latine à propos des policiers de Bolzanetto et des carabiniers qui se sont acharnés contre des manifestants pacifiques réfugiés sur la plage du boulevard Kennedy, c'est que la situation socio-politique de l'Italie , son grand capital transnational à côté des secteurs de sous-traitance produisent une marginalisation sociale massive. L'Etat italien (contrairement par exemple à l'Etat français) n'est pas assez riche pour garantir un filet de sécurité aux exclus,il doit donc recourir au bâton.

Qui étaient les manifestants violents

Il faut rappeler que la police italienne a refoulé aux frontières (officiellement) 2,000 personnes , parmi lesquelles la délégation Grecque de Synapismos. A leur arrivée à Ancona, les Grecs ont été pourchassés par la police qui les a obligés à repartir dans leur bateau . L'expérience des violences a montré que les refoulés n'étaient pas forcément des violents.

L'immense majorité des militants anti-globalisation capitalistes sont venus à Gênes pour protester pacifiquement contre le G-8, mais un certain nombre de militants qui ont fait le voyage avaient choisi la protestation violente. Pour, c'est l'attitude menaçante des forces de l'ordre qui a suscité la colère et les a incités à réagir.

Il y a lieu de connaître la diversité des organisations qui font le choix délibéré d'affronter les forces de l'ordre , et il faut les distinguer des organisations qui se préparent à l'autodéfense parcequ'elles ont dejà eu à pâtir des violences policières. C'est en particulier le cas des organisations italiennes comme les Tute Bianche , les Cobas et les No Global dont les positions ont été évoquées précédemment. Il y a aussi le cas des " autonomes " et des isolés comme Carlo Giuliani , le jeune homme tué par un carabinier. Ce jeune homme de 23 ans habité par le rêve de justice sociale , fils de militant syndical communiste , n'était pas violent par principe , mais cet après midi du vendredi 20 juillet , il avait assisté à l'assaut des carabiniers au stade Carlini et avait subi les charges de police avec bastonnades et grenades lacrymogène , de sorte que lorsque une jeep de carabiniers s'est trouvée immobilisée place Alimonda , lui et ceux qui l'entouraient se sont vengés sur cette jeep isolée ; l'un a enfoncé un madrier dans une vitre, un autre a lancé des pierres sur la vitre arrière, et Carlo Giuliani s'apprêtait à lancer un extincteur dans la lunette arrière privée de vitre , c'est alors que le carabinier a tiré sur lui visant la tête .

Carlo Giuliani et les deux jeunes gens qui l'accompagnaient ce jour là ne font partie d'aucune organisation, ils fréquentaient épisodiquement le groupe Zapata ou les centres anarchistes, mais n'obéissaient à aucune consigne ; leur violence résulte en partie de leur isolement . mais il faudrait comprendre les raisons de leur refus d'intégrer une organisation assez structurée pour que ses membres gardent leur sang froid en dépit des circonstance, le choix qu'ils font de l'autonomie , fragilise leur situation dans une manifestation .
Le Black Bloc est sûrement plus complexe qu'il ne paraît , mais à Gênes on n'a pu en avoir qu'une vision totalement négative . Ses membres ont utilisé le vaste groupe de manifestants comme bouclier et refuge , pour lancer leurs opérations éclair de destruction indiscriminé . Ils se sont comportés en ennemis du GSF : le vendredi matin à 11 heures ils ont tenté un blitz sur le centre de presse rue Cesare Battisti . A mesure que remontent les informations , il se révèle que parmi eux se trouvaient des nazi allemands et britanniques et des neofascistes italiens. En tout cas on ne peut pas assimiler le Black Bloc au courant anarchiste . A Gênes , le Centre Pinelli qui est officiellement anarchiste a refusé d'accueillir le Black Bloc dont il ne partage pas la forme d'action. Il leur reproche en particulier de s'infiltrer dans des cortèges d'autres organisations et leur reproche de s'attaquer à des petits commerces et de modestes automobiles d'ouvrier au lieu de diriger leurs attaques contre les multinationales .

En outre, à Gênes tout le monde a constaté les bizarreries des rapports entre les membres du Black Bloc et les policiers . L'ambiguité continue à peser sur leur comportement .

Qualification de la violence: legalité, legitimité, perspectives de resistance

Tout le monde a compris que le comportement du Black Bloc est de ceux qui servent la stratégie de criminalisation de la protestation . Le cas de Gênes montre que l'appareil répressif est capable d'instrumentaliser les violents , car il redoute la protestation pacifique lorsqu'elle est vraiment massive car elle est en soi une mise en question de la légitimité de la représentation politique. Le G-8 qui s'institue en gouvernement de fait a vu contester sa légitimité par 300,000 manifestants venus de tous les continents .
La lutte dite pacifique est celle qui emploie les instruments de la raison pour démonter les mécanismes du néolibéralisme et éclairer le détournement de la critique et la manipulation de l'opinion . Ce travail d'éclairage requiert un effort constamment renouvelé car l'appareil politique du système G-8, FMI, BM, OMC, OCDE, entend parachever son programme de déconstruction des principes d'égalité et de solidarité pour leur substituer la légitimation de l'inégalité en tant que corollaire de la liberté confondue avec la totalité des attributs de la propriété. Le succès de la lutte pacifique relèvent un peu du pari , cependant la meilleure mesure qu' l'on en ait c'est la capacité de rassemblement comme celui de Gênes , c'est aussi le fait de mettre les medias et les pouvoirs publics dans l'obligation de prendre au sérieux ces critiques et propositions , et ainsi de les relayer et de contribuer à un effet de conscientisation contribuant à amplifier le mouvement.
Si l'expérience de Gênes confirme les raisons de se méfier du Black Bloc , elle ne doit pas masquer la signification du comportement des autres groupes qui ne font pas du pacifisme un principe intangible . Ces jeunes gens comme Carlo Giuliani dont l'esprit de révolte est largement justifié représentent le nouveau type de prolétaire crée par le système . Face aux prolétaires classiques, à la fois exploités et assurés d'un travail, est en voie de constitution une masse totalement hétérogène de candidats au travail , isolés les uns des autres , mis en compétition par les entreprises de travail temporaire qui sont les nouveaux marchands d'hommes . A Gênes étaient présents un grand nombre de ces nouveaux prolétaires , travailleurs manuels, intellectuels, inventeurs de modes de survie, lassés de l'incompréhension et de l'humiliation.. Et encore à Gênes n'étaient présents que ces nouveaux prolétaires issus du monde développés ; ils ne sont qu'une poignée face aux millions de manants du Tiers monde qui doivent chaque matin pratiquer le " rebusque " la quête d'une moyen de survie jusqu'au soir, et qui de plus en plus sont contraints à franchir les limites de la légalité comme les " piqueteros " en Argentine ou les Sans Terre au Brésil.

Les opposants pacifistes au programme néolibéral conscients de la croissance de ce nouveau prolétariat produit par la prétendue " modernisation " sociale, doivent dialoguer avec ceux qui n'excluent pas le recours à la violence .

Dans ce but, Il est donc impératif de renouveler l'analyse du concept de violence sociale : il faut re-catégoriser la violence par une remise en contexte du statut des auteurs et du caractère de voie de fait ou de violence morale ; le déni de droit étant une violence morale. . Ceci renvoie au fonctionnement de la démocratie et des droits individuels et collectifs qui fondent une démocratie . Le droit à l'expression du désaccord reconnu par les constitutions démocratiques peut se heurter à l'autisme des pouvoirs en place et donc rester purement formel . Ceci invite à analyser les limites de la démocratie dont le légalisme s'accommode de l'absence de droits sociaux ou environnementaux.

Il est clair que la globalisation capitaliste est en train d'imposer une nouvelle légalité : elle donne la primauté au droit de propriété et au droit à obtenir la rentabilité maximale du capital ce qui a pour corollaire , la restriction progressive des droits des travailleurs et de tout autre réglementation qui limiteraient la rentabilité du capital.

Les opposants à la globalisation capitaliste se trouvent ainsi de fait du côté de l'illégalité ; jusqu'où le système démocratique leur permet-il cette illégalité non violente '

C'est sur ce terrain miné de l'illégalité non violente que nous devons évoluer . Il nous reste des référents juridiques majeurs : la Charte universelle des droits de l'homme, les normes internationales du travail dont l'OIT est le garant et le corpus juridiques des autres organes des nations Unies ; ils fournissent le fondement de la légitimité de notre résistance à la nouvelle légalité que le système néolibéral est en train de fabriquer à travers ses organes comme l'OMC.

Dans la mesure où la nouvelle légalité mise au point par les organes du système est en contradiction avec les principes énoncés par les organes des Nations Unies , nous serons quant à nous dans une illégalité légitime, nous serons donc fondés à pratiquer la désobéissance civile et tout autre mode d'action non violente .
C'est ainsi que nous verrons si la démocratie est compatible avec la " refondation sociale " commandée par la réalisation du programme économique néolibéral.

Denise Mendez

 




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