Les lecteurs du Monde diplomatique étaient déjà
familiers des expériences de démocratie participative
mises en oeuvre à Porto Alegre, capitale de l'Etat brésilien
du Rio Grande do Sul (voir les numéros d'août 1998
et de mai 2000). Ils avaient été tenus informés
de la tenue du Forum social mondial (FSM) dans cette ville et
de la perspective d'y voir se constituer l'embryon d'une véritable
Internationale rebelle (voir l'éditorial de janvier 2001).
Ils n'ont donc pas été surpris de l'extraordinaire
retentissement que cette initiative a eu en France et dans le
reste du monde. Ouvert le 25 janvier, exactement à la
même date que Davos - c'était évidemment
de propos délibéré -, le FSM s'est, en
moins de 48 heures, médiatiquement installé au
même niveau que le World Economic Forum où les
grands patrons de la finance et de l'industrie avaient depuis
trente ans rendez-vous pour façonner à leur convenance
l'avenir du monde.
D'un côté de l'Atlantique, en haut d'une montagne
suisse, banquiers et spéculateurs en tout genre, présidents
de transnationales et hommes politiques venus leur prêter
main forte - ou tout simplement les courtiser - symbolisaient
avec arrogance l'asservissement des sociétés aux
diktats du profit. De l'autre, ce sont précisément
ces sociétés, représentées par les
syndicats, associations, ONG et élus du suffrage universel,
qui sont venues dire qu'un monde autre que celui imposé
par le néolibéralisme dominant est bel et bien
possible (lire " Manifeste pour une économie à
finalité humaine " , par René Passet dans
le numéro de février). La seule existence du FSM
retire toute légitimité à Davos qui apparaîtra
désormais, s'il se perpétue, comme une simple
réunion d'intérêts corporatistes, un Medef
de la globalisation ligué contre les aspirations à
un monde plus juste, plus solidaire, plus soucieux de l'avenir
de la planète.
Ce qui s'est passé dans la capitale gaucha constitue
donc un véritable tournant. Dans leur grande diversité,
les mouvements opposés à la mondialisation libérale
- c'est-à-dire à une mondialisation conçue
par et pour le pouvoir de l'argent, ce que rend bien la formulation
anglaise de corporate-led globalization - vont maintenant non
seulement continuer à " marquer à la culotte
" les décideurs réunis dans les assemblées
du FMI, de l'OMC, de la Banque mondiale, voire comme à
Nice, en conseil européen, mais également avancer
des propositions résultant d'un consensus international.
Celles de Porto Alegre, élaborées dans quelque
400 ateliers, vont être diffusées sur le site du
FSM monté par l'équipe de l'édition brésilienne
du Monde diplomatique.
D'ores et déjà, lors d'une confrontation télévisée,
plusieurs ont été lancées en direction
de Davos et des gouvernements : l'annulation pure et simple
de la dette publique du tiers-monde (déjà payée
plusieurs fois), la suppression des paradis fiscaux et la taxe
Tobin sur la spéculation sur les monnaies. A cet égard,
on notera que le mégaspéculateur qu'est M. George
Soros s'est publiquement prononcé pour cette taxe à
Davos même. Autrement plus lucide que certains de ses
collègues, pour lesquels l'horizon de la réflexion
ne dépasse pas le laps de temps entre deux opérations
- disons dix minutes -, M. Soros est prêt à faire
la part du feu pour sauver un système dont il espère
continuer à bénéficier, en rognant un peu
sur ses bénéfices. M. Laurent Fabius qui, dans
un rapport du mois d'août 2000, avait conclu à
l'impossibilité " technique " de cette taxe,
devrait le consulter sur ce sujet.
Sans sous-estimer les compétences du ministre français
de l'économie et des finances, on peut penser qu'il en
connaît professionnellement moins sur les rouages de la
spéculation - et donc sur la manière de la combattre
- que l'homme qui a fait chuter la livre et a engrangé
de fabuleux profits sur d'autres devises. Le Monde diplomatique,
en partenariat avec Attac, est tout à fait disposé
à organiser un débat public entre ces deux personnalités
et il leur adressera prochainement une invitation à cet
effet.
Bernard Cassen