LAS CONFERENCIAS TEMÁTICAS: Contrôle des capitaux financiers
 

 

Introduction

La mondialisation libérale a entraîné une montée des inégalités et de l'instabilité à l'échelle planétaire. La finance libéralisée est un vecteur puissant de ces déséquilibres mondiaux. Les données parlent d'elles-mêmes: 80 % des flux financiers internationaux se concentrent sur une vingtaine de pays qui ne représentent que 22 % de la population mondiale. Et les crises financières se sont accélérées ces dix dernières années pour frapper de manière récurrente les pays émergents d'Asie, d'Amérique latine, d'Afrique et d'Europe.

Les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) ont été incapables de réguler les crises, et leurs politiques tendent à aggraver les inégalités. Les réformes proposées par la " communauté financière internationale " sont inadaptées car elles ne s'attaquent pas aux ressorts profonds de la mondialisation libérale et au pouvoir des marchés financiers.

Une approche alternative de la finance internationale est donc nécessaire. Celle-ci doit s'appuyer sur une autre conception de la mondialisation, fondée sur le développement durable, c'est-à-dire une économie au service de l'homme, respectueuse de l'environnement et de la diversité des peuples.

Il s'agit, en premier lieu, de redonner aux Etats la maîtrise de leurs politiques, ce qui implique une maîtrise des mouvements de capitaux (1). Cet objectif passe par la mise en place de politiques de contrôle des capitaux (2), le renforcement du contrôle des marchés et des acteurs financiers (3) et une réforme radicale de l'architecture actuelle des institutions financières internationales (4).

1.- Redonner aux Etats la maîtrise des mouvements de capitaux

La mobilité internationale des capitaux est un obstacle à la mise en œuvre des politiques économiques, au Nord comme au Sud : les banques centrales, ainsi que les autorités budgétaires et fiscales, sont sous la coupe des marchés, toujours prompts à sanctionner par la spéculation des politiques jugées non conformes à leurs intérêts.

La dépendance des pays envers les marchés financiers résulte du modèle de développement imposé par les politiques néolibérales : au lieu de se centrer sur leur épargne et leur marché intérieurs, les pays sont poussés à orienter leur activité productive et financière vers les échanges internationaux, surtout lorsqu'ils sont endettés à la suite de déficits antérieurs.

Pour retrouver des marges de manœuvre, les pays doivent être en mesure de se protéger, ce qui revient à mettre en cause la logique libérale qui donne la primauté à l'ouverture extérieure. Il s'agit donc de garantir, au niveau international, le droit des pays à réduire leur ouverture extérieure afin de mener à bien leurs propres politiques. Par ailleurs, il est souhaitable que les pays se coordonnent entre eux pour mettre en place des politiques communes : il est ainsi nécessaire de reconnaître le droit d'un groupe d'Etats à définir un ensemble de règles qui lui sont propres et qui permettent de protéger leur marché intérieur. Les expériences du Marché commun européen et du Mercosur vont, ou pourraient aller, dans ce sens.

La libéralisation du compte financier (balance des capitaux) doit être décidée souverainement par les Etats, et non imposée par le FMI ou la Banque mondiale. Elle relève d'un choix politique, et n'est pas la seule option possible. Si elle est décidée, cette politique doit être subordonnée aux objectifs de développement. Elle doit être considérée comme une étape ultime, intervenant lorsque les pays ont des structures économiques et financières solides (c'est la notion de sequencing ).

Deux conditions doivent être satisfaites pour permettre l'ouverture du compte de capital : la stabilisation macro-économique (inflation, finances publiques) ; un secteur bancaire local sain et assez robuste pour affronter la concurrence internationale..

La libéralisation du compte financier, lorsqu'elle est possible, doit être modulée selon le type d'opérations: toutes les opérations financières ne peuvent pas être mises sur le même plan. Il est nécessaire de privilégier les opérations les plus bénéfiques à la croissance économique, ce qui implique de libéraliser en premier lieu les investissements directs.

2.- Promouvoir les contrôles de capitaux

Contrairement à ce que laisse entendre la doctrine néolibérale, l'analyse économique et l'expérience démontrent le bien-fondé des politiques de contrôle des capitaux, aux niveaux national et international.

2.1. Fondements théoriques

On peut avancer au moins cinq raisons pour lesquelles il peut être justifié de mettre en place des dispositifs de contrôle des capitaux dans les pays émergents et en développement :

1. Le processus d'intégration financière internationale a profondément modifié le comportement des banques et des investisseurs internationaux, donnant lieu à des vagues alternées d'entrées et de sorties de capitaux aux effets dévastateurs.

2. Le règlement ordonné des crises financières a été rendu plus difficile à obtenir dans le cadre de la finance libéralisée ; à la différence de la crise de la dette du début des années 1980, qui concernait un nombre limité d'emprunteurs souverains, les crises récentes des années 1990 mettent en présence un grand nombre d'acteurs privés qu'il est devenu plus difficile de réguler.

3. Les crises ont souvent des causes externes : on sait que celles des pays émergents d'Asie orientale en 1997-1998 s'expliquent en grande partie par l'appréciation du dollar.

4. Un pays ne peut obtenir simultanément la stabilité de sa monnaie et l'autonomie de sa politique économique dans un contexte de parfaite mobilité des capitaux (trilogie impossible de Mundell). Le contrôle des capitaux est un moyen de résoudre cette contradiction.

5. Les entrées de capitaux causent d'importants déséquilibres macroéconomiques (boom sur le crédit, la consommation, les investissements non productifs), créent des tensions inflationnistes et engendrent des bulles spéculatives. La prévention de tels déséquilibres passe par le contrôle des entrées de capitaux.

2.2. Mesures nationales

Au cours des années 1990, plusieurs pays, notamment le Chili, la Colombie et la Malaisie ont pris avec succès des mesures temporaires pour décourager les entrées et sorties de capitaux à court terme de nature spéculative. Ces politiques peuvent servir d'exemples pour les pays en voie de développement. Elles permettent d'atteindre deux objectifs : redonner des marges de manœuvre aux politiques économiques moins soumises à la contrainte extérieure ; stabiliser le taux de change et éviter sa surévaluation, cause de ralentissement économique.

2.3. Mesures fiscales internationales

Les politiques nationales de contrôle des capitaux sont insuffisantes face à la puissance de feu des opérateurs internationaux. Il est donc nécessaire d'introduire des mesures de contrôle des capitaux à l'échelle internationale. L'instrument fiscal est particulièrement bien adapté à cet objectif. C'est l'idée des " trois taxes globales " dont la première est la taxe Tobin.

2.3.1. La taxe sur les transactions financières internationales (type Tobin)

La taxe la plus connue est celle, proposée par James Tobin, qui s'applique à toutes les transactions sur le marché des changes. Elle s'inspire de la proposition formulée par Keynes d'une taxe générale sur toutes les transactions financières visant à réduire la spéculation. Son taux moyen serait faible et son coût annualisé serait inversement proportionnel à la durée des transactions, de façon à dissuader les opérations à court terme dont l'objet unique est de réaliser des gains de change de nature spéculative. Cette mesure vise plusieurs objectifs. En premier lieu, elle permettrait, selon l'expression de Tobin, de " mettre du sable dans les rouages trop bien huilés " de la finance internationale en freinant les opérations d'arbitrage et de spéculation .

En second lieu, cette mesure redonnerait plus d'autonomie aux autorités monétaires qui pourraient se concentrer sur leurs objectifs domestiques de politique économique. Par ailleurs, la taxe de Tobin permettrait aux taux de change de mieux refléter la valeur de leurs déterminants fondamentaux de long terme, car les écarts entre les taux du marché et les " fondamentaux " (les " bulles spéculatives) seraient réduits.

Enfin, le produit de la taxe de Tobin permettrait d'alimenter un fonds international destiné, entre autres affectations possibles, à financer une aide aux pays émergents et en développement affectés par les dysfonctionnements du système financier international.

Il n'y a pas d'obstacle sérieux à la mise en œuvre d'une taxe du type Tobin. Certaines propositions permettent de renforcer l'efficacité de cette mesure, notamment en instituant une taxe à deux vitesses (Spahn).

Comme il est difficile de créer d'emblée une taxe mondiale, il est proposé (c'est la position des Attac d'Europe) de mettre en œuvre la taxe Tobin à l'échelle des pays de la zone euro ou de l'Union européenne. Etant donné son importance, grâce à une population et un PIB qui se rapprochent des niveaux américains, l'espace européen constitue un bon point de départ pour l'application de cette mesure fiscale.

2.3.2. Deux autres taxes globales sur les IDE et sur les bénéfices des multinationales

Une taxe variable sur les IDE (investissements directs à l'étranger) se justifie par deux séries de raisons : c'est une partie de l'activité des entreprises multinationales qui ne se prête pas à l'évasion fiscale entraînée par la mobilité des capitaux. Ensuite, elle permet de lutter contre le " dumping fiscal" par la mise en concurrence des systèmes fiscaux, et de contrecarrer l'érosion des droits des travailleurs dans les pays d'accueil des IDE. En effet, ces pays sont également ceux où les salaires sont les plus bas, la législation du travail la plus laxiste, la fiscalité la plus faible. Cette taxe serait applicable à tous les investissements directs, dans les pays riches comme les pays pauvres. Son taux serait variable de 20 % à 10 %, et serait indexé sur une " notation " attribuée par l'Organisation internationale du travail (OIT) en fonction du respect des droits fondamentaux des travailleurs, selon une échelle propre à chaque catégorie de pays (riches et pauvres).

Autre forme de taxation globale du capital : parer à la manipulation des prix de transfert par les entreprises multinationales, en calculant les bénéfices d'une autre manière et en identifiant les lieux où ils sont imposables. Une méthode s'inspirant de la taxe unitaire (unitary tax) existant aux Etats-Unis pourrait être utilisée. Cette taxe globale a le mérite d'être simple et facile à calculer et à prélever. Elle implique aussi bien le Nord que le Sud.

Ces trois " taxes globales " sont ainsi un ensemble cohérent et complémentaire d'instruments dont peuvent s'emparer les opinions publiques qui aspirent à une autre mondialisation, plus équilibrée et contrôlée.

D'autres propositions voisines doivent être prises en considération : c'est notamment la proposition de la CNUCED d'un impôt mondial sur les revenus du capital ou sur la fortune, qui alimenterait un Fonds mondial pour le développement.

3.- Renforcer le contrôle des marchés et des acteurs financiers

Pour réduire le pouvoir du capital financier international, il est essentiel d'encadrer les marchés financiers. Il faut également contrôler étroitement les acteurs financiers, qui constituent l'oligarchie financière mondiale, grande bénéficiaire de la mondialisation libérale.

3.1. Encadrement

Quelques principes peuvent guider les pouvoirs publics : réduire la liquidité des placements, rendre transparentes toutes les opérations financières, se déconnecter progressivement de la finance de marché en réhabilitant le crédit bancaire ciblé sur des emplois productifs créateurs d'emploi et à finalité sociale, cotation unique par fixing quotidien pour éviter les fluctuations continues des cours, …

Chacun des quatre principaux marchés doit faire l'objet de mesures spécifiques :

· Le marché des actions : limitation de la détention d'actions dans les entreprises par les non-résidents, sociétés à bénéfice limité, impôt de Bourse …

· Le marché des changes : dépôt obligatoire sur les transactions, taxe de type Tobin, interdiction du maintien d'une position de change (écarts entre créances et engagements en devises), contrôle des mouvements de capitaux…
· Les marchés dérivés : augmentation du dépôt obligatoire de garantie afin de limiter l'effet de levier utilisé pour spéculer, contrôle et limitation des systèmes de hors-bilan où sont enregistrées la plupart des opérations spéculatives…
· Le marché obligataire : limitation des ventes de titres aux non-résidents …

3.2 Suppression des paradis fiscaux

Deux séries de mesures s'imposent:

· Levée du secret bancaire à la demande des autorités publiques, ce qui implique la réglementation des professions protégées par le secret bancaire, des sanctions contre les établissements qui refusent de coopérer, l'obligation de conserver la trace des donneurs d'ordre et des transactions sur produits dérivés. Ces mesures de contrôle des flux peuvent être menées efficacement en prenant appui sur les organismes de clearing et les systèmes de paiement.

· La définition d'obligations de la part des Etats : reconnaissance d'un droit d'ingérence à l'égard des Etats qui abritent des paradis fiscaux ; coopération entre Etats dans le domaine judiciaire et pour la centralisation des renseignements sur les délits financiers ; obligation de publication des données sur les paradis fiscaux ; non reconnaissance des sociétés écran ; respect des règles anti-blanchiment d'argent

3.3 Renforcement du contrôle des banques

Les banques sont, avec les fonds d'investissement, les principales responsables des mouvements internationaux de capitaux spéculatifs. Ce sont les grandes banques internationales qui réalisent l'essentiel des opérations de change, dont la majeure partie est de nature spéculative.

Les banques font déjà l'objet d'une supervision qui apparaît cependant insuffisante. Plusieurs mesures devraient être prises pour redonner aux banques leur rôle dans le financement des entreprises : unification plus efficace des autorités de contrôle ; élargissement des interdictions de certaines opérations spéculatives ; dépôts obligatoires de réserve ; augmentation du nombre d'agents du fisc déjà installés dans les établissements financiers…

Il est nécessaire de corriger la philosophie libérale du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, principale autorité internationale de régulation, qui fonde de plus en plus la supervision des banques sur la notion d'auto-contrôle (ou de contrôle interne) des banques.

Enfin, les mesures imposées par le Comité de Bâle sont inadaptées à la situation des banques des pays en développement qui ne disposent pas des moyens humains et techniques suffisants et sont donc fragilisées par le développement de leurs opérations internationales.

3.4 Règles prudentielles pour les investisseurs internationaux

Une limite importante du dispositif prudentiel international actuel est que celui-ci porte essentiellement sur les banques et ne concerne pas directement les autres acteurs financiers internationaux. C'est le cas des hedge funds , les fonds spéculatifs à effets de levier qui ne font l'objet d'aucune réglementation sous prétexte qu'ils ne font pas appel public à l'épargne.

Il y a là un important " trou noir " réglementaire qu'il est urgent de combler en imposant à tous les investisseurs des règles prudentielles comparables à celles appliquées aux banques internationales.

Autre série de mesures : limiter la proportion des investissements réalisés par les investisseurs étrangers dans les pays en développement ; obligation de garder les titres pendant l'année qui suit leur acquisition (mesure proposée par Keynes dans les années 1930).

3.5 Faire payer les acteurs privés responsables des crises

Pour réparer les dommages causés par les crises financières internationales, le FMI met en place des plans de sauvetage (bail out programs). Ces plans protègent surtout les spéculateurs qui sont ainsi assurés d'être remboursés. Une mesure radicale pour dissuader la spéculation des banques et des investisseurs internationaux est d'impliquer ceux-ci directement dans le financement des dégâts causés des crises financières dans les pays du Sud. Cette mesure permettrait, en outre, de réduire le phénomène d' " aléa moral " affectant le comportement des créanciers privés, dans la mesure où ceux-ci seraient sanctionnés pour les pertes qu'ils infligent aux pays débiteurs.

4.- Réformer les institutions financières internationales

L'ensemble des mesures de contrôle de la finance mondiale ne peut être mis en œuvre sans que soit également menée à bien une réforme radicale des organisations internationales, et en particulier des institutions financières internationales (IFI) : FMI et Banque mondiale. Ces deux institutions se sont progressivement éloignées de leurs fonctions initiales, définies par les accords de Bretton Woods, qui étaient d'assurer la stabilité du système monétaire international et de promouvoir le financement du développement.

La réforme des IFI passe donc par une redéfinition de leurs fonctions :

1. Organiser l'annulation internationale de la dette extérieure des pays les plus pauvres.
2. Assurer aux pays qui en ont besoin des formes et des conditions de financement qui permettent un développement durable ; il s'agit d'amener les pays riches à respecter leurs engagements en matière d'aide au développement, et de mettre en place des mécanismes de financement " hors marché " à bas taux d'intérêt, ciblés sur des objectifs précis ;
3. Garantir à ces pays le droit, et de leur donner l'assistance technique pour se protéger contre les mouvements de capitaux spéculatifs.
4. Aider les pays à construire (ou à reconstruire) les institutions leur permettant de soustraire leurs exportations aux aléas de l'instabilité des monnaies et des cours des matières premières.

Dans ce but, deux institutions sont à créer:

1. Un Fonds de stabilisation des changes et du cours des matières premières, permettant d'atteindre cet objectif.
2. Un Fonds mondial pour le développement, chargé de financer les projets les plus urgents et d'assurer les nécessaires transferts de technologie entre le Nord et le Sud, notamment dans les domaines de la santé, de l'énergie et de l'environnement.

Ces fonds seraient financés par les " taxes globales " décrites précédemment.

Une réforme profonde du fonctionnement des IFI s'impose pour atteindre ces objectifs:

· Démocratie et transparence : participation des pays du Sud aux instances de direction, contrôle réel des populations locales et des Parlements nationaux sur les politiques des IFI afin de garantir l'équilibre entre pays créanciers et pays débiteurs.
· Rattachement des IFI à une Organisation des Nations unies elle-même réformée : il est essentiel de subordonner les IFI, ainsi que l'OMC, au système des Nations unies, ce qui est un moyen, d'une part, de les soumettre à un contrôle extérieur, et, d'autre part, de les amener à respecter les droits fondamentaux (droits de l'homme, droits civils et politiques, droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux) qui sont supérieurs aux intérêts financiers et commerciaux dans la hiérarchie des normes internationales.

Dans cette perspective, afin de réduire le pouvoir aujourd'hui excessif des IFI et de l'OMC, et de redonner du pouvoir aux Etats et aux citoyens à l'échelle internationale, il est nécessaire d'organiser des possibilités de recours des Etats et des citoyens devant les juridictions internationales pour non respect des droits fondamentaux.

Contribution d'Attac

 




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