LAS CONFERENCIAS TEMÁTICAS: Les migrations et les contradictions de la mondialisation. Texte initial pour la conférence sur "Migrations et réfugiés" du FSM
 

 

"Aujourd'hui le monde est mondial"

Depuis 1950, la production mondiale a été multipliée par 5 et les échanges commerciaux par 11, mais qui profite de cette croissance ? Sur 6 milliards d'être humains, 500 millions vivent confortablement ; 5,5 milliards sont pauvres. Dans les années '60 et '70, le nombre de pauvres (ceux disposant de moins d'1 dollar par jour) s'élevait à 200 millions de personnes. Au début des années '90, leur nombre était de 2 milliards. Aujourd'hui, dans le monde, il y a 20 millions de réfugiés et 30 millions de personnes "déplacées" ; 150 millions de migrants "économiques"… (20 millions en Europe ; et 50 millions d'Africains dans le monde). L'Afrique a elle seule présente 5 millions de réfugiés et 20 millions de personnes déplacées.

Comprendre la mondialisation…

La mondialisation (ou globalisation) est le fruit de la combinaison de trois facteurs :
· l'élargissement de l'espace des échanges par l'intégration de nouveaux pays (nouveaux joueurs) ;
· la globalisation des grandes entreprises organisant au niveau mondial leurs activités de recherche, d'approvisionnement, de production et de commercialisation (nouveaux jeux).
· la croissance des échanges grâce à la libéralisation ou déréglementation (nouvelles règles du jeu).

On pensait que la globalisation (mais non des richesses !) pouvait faire baisser le besoin d'émigrer. Or, malgré la grande ouverture des marchés, les pays en développement sont de plus en plus les destinataires des biens de consommation étrangers plutôt que des lieux stables capables de retenir sur place les travailleurs, émigrés potentiels.

Par ailleurs, la logique de la mondialisation voudrait qu'à la libre circulation des capitaux et des marchandises s'ajoute la libre circulation des personnes, mais des personnes réduites à la condition de main-d'œuvre, c'est-à-dire de marchandise comme n'importe quelle autre, soumise aux seules règles du marché. L'extension à la "marchandise travail" de la version libérale de la mondialisation signifierait le démantèlement des systèmes de protection sociale, car le libéralisme ne saurait admettre que la circulation totalement libre des travailleurs au niveau mondial soit encadrée par des réglementations nationales protectrices : salaire minimum, limitation de la durée du travail, conditions minimales d'hygiène et de sécurité, interdiction du travail des enfants, etc.

A une certaine mondialisation de la richesse, dont profitent les couches sociales dominantes des pays pauvres, correspond une mondialisation de la pauvreté qui atteint de vastes secteurs de la population des États riches, notamment les personnes d'origine étrangère et, plus particulièrement, celles qui s'y trouvent en situation irrégulière. Ces victimes de la mondialisation libérale à outrance constituent un réservoir de main-d'œuvre bon marché. Leur situation est encore aggravée par leur dépendance à l'égard des réseaux maffieux de trafic d'êtres humains, sans l'entremise desquels il devient presque impossible de pénétrer sur le territoire des pays riches.

Le contexte actuel (mondialisation) est différent du contexte d'il y a 50 ans (industrialisation) : vers une certaine criminalisation des migrants "clandestins"

La fermeture généralisée des frontières entraîne une transformation de la nature des migrations :
· de temporaires, deviennent définitives
· de masculines et célibataires deviennent familiales.

Les sociétés occidentales vivent depuis une crise profonde :
· le chômage s'est développé de façon structurelle ;
· la peur de l'avenir a replié des secteurs entiers de ces sociétés sur une identité plus fermée ;
· des discours désignant les étrangers comme facteurs d'insécurité et concurrents sur le marché du travail se sont multipliés, trouvant un écho favorable dans l'opinion publique.

Changement du paradigme migratoire : de l'industrialisation à la mondialisation

Nous sommes passés :
· de la société industrielle à la société post-industrielle(mondialisation)
· de l'urbanisation à la délocalisation
· des "classes laborieuses" (avec exceptions) aux "classes dangereuses" (tous!)
· du processus d'inclusion au processus d'exclusion
· de l'immigration assimilable à l'immigration criminelle
· de l'État social à l'État pénal
· d'un monde "ouvert" à un monde "forteresse"

La migration est donc devenue presque partout un délit poursuivi à la fois par les pays de départ et par les pays de destination. Ce fait constitue le premier "facteur" de criminalisation de la migration transformant ainsi les politiques migratoires des pays européens en une sorte de panoplie militaro-policière plutôt qu'une réelle possibilité d'insertion régulière.

Les caractéristiques des migrations actuelles

Le trafic de migrants
Aucun pays n'est immunisé contre la migration irrégulière (Cf. les 8 millions de clandestins estimés aux Etats-Unis) - phénomène inhérent à tous les flux migratoires -, que celle-ci prenne la forme d'entrées, de séjours ou d'emplois irréguliers.

En Afrique, devant les possibilités de plus en plus réduites de se rendre dans les pays riches, la seule issue des migrants est de se mettre dans les mains des trafiquants aux méthodes dangereuses et illégales (exploitations physiques et sexuelles, passeports confisqués, prostitution et travail forcé, tortures). Tous les ans, on parle ainsi de plusieurs centaines de milliers de femmes et d'enfants trafiqués d'Afrique et en Afrique. Plusieurs pays africains (Nigeria, Ghana, Côte d'Ivoire, Sénégal, Ethiopie, Kenya, Cameroun, Mali, Niger) sont en même temps pays d'origine, de transit et de destination des trafics. Et, l'Italie, la Belgique, les Pays Bas les Etats-Unis, le Moyen Orient et les pays du Golfe sont devenus des destinations privilégiés d'Africains, victimes de trafics.

En Asie de l'Est, où les pays de destination ne sont pas forcément limitrophes des pays d'origine, la migration irrégulière se présente sous la forme de personnes en situation de dépassement de séjour ou qui travaillent irrégulièrement. En Asie du Sud et du Sud-Est, où les principaux pays de destination partagent une frontière avec le pays d'origine (Thaïlande et Birmanie ou Malaisie et Indonésie), les migrants irréguliers entrent et séjournent sans les documents requis [250 000 irréguliers au Japon, 220 000 en Corée, de 600 000 à 1 million en Malaisie, 1 million en Thaïlande, 1,9 million de Philippins viveat à l'étranger en situation irrégulière].

Le peu de succès contre la migration irrégulière (la plupart des pays ont renforcé leurs mesures de contrôle des frontières), révèle que la migration irrégulière est une composante structurelle de la mobilité de la main-d'œuvre. Elle a grandi en nombre et en complexité en se confondant avec le trafic d'êtres humains. Ce dernier est particulièrement flagrant dans le cas des enfants utilisés à des fins de prostitution ou pour effectuer un travail non rémunéré, ou dans le cas des enfants victimes de la traite sous couvert d'adoption. Les femmes sont également victimes des trafiquants, recrutées pour des emplois légitimes mais ensuite forcées à se prostituer, se marier, travailler dans des ateliers clandestins. Toutefois, le trafic qui s'est le plus accru ces dernières années est le trafic des migrants chinois (50 000 par an, surtout de la province du Fujian) vers l'Amérique du Nord et l'Europe.

En Europe, le phénomène de l'immigration "clandestine" reste difficilement quantifiable et presque sans solution. Au début des années '90, on évaluait à 2,6 millions les étrangers en situations irrégulières. Les diverses régularisations (dans la plupart des pays européens) révèlent que les migrations ne sont pas temporaires ou conjoncturelles, mais structurelles ; que pour contrôler et gérer les flux les interventions policières ou les mesures répressives ne suffisent pas ; que l'objectif de la légalité doit être accompagné, à l'intérieur, par des politiques d'intégration et, à l'extérieur, par des accords internationaux et par des programmes de coopération et de développement. L'un des éléments d'appel pour l'immigration clandestine est fourni par l'économie informelle, très présente en Europe. Le secteur informel de l'économie tire d'importants avantages de la main-d'œuvre clandestine, plus flexible et moins onéreuse.

Le caractère transnational des migrants

La migration actuelle, ancrée à des puissants réseaux sociaux, a un caractère oscillatoire et entretient de profonds liens matériels et symboliques entre le pays d'origine et les pays d'accueil. Elle développe des formes culturelles qui lui sont propres. Ainsi, ces nouveaux migrants font preuve d'un pouvoir de résistance qui freine leur intégration dans la société d'accueil.

La féminisation

L'une des nouvelles caractéristiques des actuels flux migratoires est leur composante féminine élevée, qui s'inscrit dans un contexte plus large d'utilisation croissante de la force de travail féminine, en particulier en provenance du tiers-monde. Cette main-d'œuvre investit le secteur manufacturier en crise (sweatshops, travail à domicile), les services urbains bon marché.

L'intensification de l'exclusion sociale

Les migrants, à l'instar d'autres groupes sociaux vulnérables, sont victimes de l'"exclusion" de la part de la société d'accueil. Cette exclusion peut être active ou passive. Les exclusions "passives" sont celles que les migrants partagent avec d'autres groupes vulnérables du fait de leur condition sociale : bas niveau de vie, chômage ou problèmes rencontrés pour accéder au marché du travail.

L'exclusion "active" se manifeste sous la forme de ségrégation ou de discrimination. La ségrégation contraint l'immigré à se cantonner dans des sphères sociales, culturelles ou physiques à l'écart de celles qu'occupe l'ensemble de la société d'accueil. Ainsi, l'exclusion peut se traduire par des pratiques discriminatoires telles que l'installation de l'immigré dans des quartiers marginaux, ou encore par son isolement socioculturel. La discrimination a trait à l'inégalité de traitement qui humilie l'immigré dans les divers domaines de la vie sociale où il évolue.

Les cas de l'Europe : vers une "immigration précaire"

L'Union européenne fonde la libre circulation interne sur le strict contrôle des frontières extérieures. Elle envisage ainsi une ouverture sélective destinée à satisfaire aux seuls besoins de l'économie. La précarisation et la "flexibilisation" du travail, entrées dans les mœurs de nos sociétés, sont désormais appliqués systématiquement aux immigrés des pays pauvres que l'on laisse venir et travailler quelque temps dans les sociétés riches, avant de les renvoyer chez eux, lors des crises économiques. Bien entendu, les travailleurs hautement qualifiés (les "cerveaux") pourraient avoir le privilège d'accéder au statut de résident permanent ou se faire naturaliser assez vite.

On parle également d'immigration par quotas, par tirage au sort, par "points", par contrats de mission... De toute façon, les États utilisent les mécanismes les plus variés pour maintenir un certain rapport entre immigrés en situation régulière et immigrés en situation irrégulière. Parmi ces mécanismes, il y a les régularisations périodiques de travailleurs en situation irrégulière, certains accueils massifs de réfugiés ou certaines opérations humanitaires qui comblent ponctuellement des déficits sectoriels de main-d'œuvre.
Dans beaucoup de pays, les autorités considèrent que la priorité doit être accordée à la lutte contre les discriminations dont sont victimes les étrangers ou les nationaux d'origine étrangère plutôt qu'aux actions visant à intégrer les travailleurs immigrés dans la société d'accueil. La lutte contre les discriminations est essentielle, mais, au moment où l'on parle d'ouverture sélective des frontières, négliger le volet "intégration" de la politique migratoire voudrait dire que les nouveaux immigrés n'auraient pas "vocation" à rester durablement dans la société d'accueil.

En réalité, plus que de lutter contre l'immigration "clandestine" - si l'immigration n'est pas interdite elle ne peut pas être irrégulière - il conviendrait de faire la guerre à l'emploi irrégulier, l'emploi non déclaré de main-d'œuvre, quelle que soit sa nationalité ou son statut dans le pays.

Jusqu'à présent, les sociétés se sont organisées selon le système qui conduit chaque personne à accepter l'obligation de défendre son groupe en échange de la protection que le groupe lui offre face aux autres groupes. Le membre du groupe se définit donc par opposition - non obligatoirement conflictuelle -au non-membre du même groupe. C'est selon ce schéma que le national se définit par rapport au non-national ; le communautaire se définit par opposition au non-communautaire.

Quelle action vis-à-vis de la mondialisation?

Il faut sortir de l'obsession du "tout économique" : la globalisation est également une autre façon de voir les gens et d'avoir des relations entre les peuples… Il faut alors re-inventer le "bon dosage" entre global et local. Et ce, dans les différents domaines de vie : famille, école, travail, loisirs, Église, politique…

Lorenzo Prencipe
Lorenzo Prencipe c'est directeur du CIEMI de Paris, Centre d'information et d'études sur les migrations internationales

 




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