Une profonde réorientation nous paraît
particulièrement nécessaire
La prochaine conférence ministérielle de l'OMC
devrait se tenir à Doha, au Qatar, du 9 au 13 novembre.
Le projet de déclaration est inquiétant, car il
exprime la volonté de l'OMC de faire passer en force un
nouveau " round ", tout en ignorant systématiquement
les questions liées au développement.
A l'instigation des Etats-Unis, du Canada et de l'Union européenne,
l'OMC réintroduit subrepticement les quatre " points
de Singapour " (du nom de la dernière conférence
de l'OMC), alors qu'une majorité de pays du Tiers monde
ne souhaite pas les voir figurer à l'ordre du jour. Ces
points, qui concernent l'investissement, la concurrence, la transparence
des marchés publics et la libéralisation du commerce
définissent le contenu d'un nouveau round, dont les pays
du Sud ne veulent pas non plus.
Ainsi, la Tanzanie, au nom du groupe des " pays les moins
avancés ", a indiqué que les conditions d'une
négociation sur ces quatre points " n'étaient
pas mûres, car il s'agit de questions complexes dont les
PMA ne sont pas en mesure de comprendre toutes les implications
". L'Inde souligne elle aussi que les conditions ne sont
pas réunies pour l'ouverture de négociations qui
conduiraient à l'établissement de " règles
contraignantes " dans ces domaines.
Ces mêmes pays soulignent qu'ils ont pâti des accords
commerciaux déjà conclus et demandent par exemple
que soit abordée la question de l'accès aux marchés
du Nord et, plus largement, que soient pris en considération
les déséquilibres existant entre le Nord et le Sud.
En tant qu'économistes, nous ne pouvons que partager ces
inquiétudes. Alors que les orientations de l'OMC visent
en pratique au dumping social, il est urgent de mettre en uvre
une autre conception des échanges internationaux, fondée
sur des principes de solidarité, de coopération,
et de commerce équitable. C'est de cette manière
que l'on peut jeter les bases d'un développement durable,
centré sur le respect des droits des salariés dans
les pays du Nord et du Sud, sauvegardant l'emploi et les droits
démocratiques pour tous les peuples, ainsi que les écosystèmes.
Plus précisément, nous nous prononçons en
faveur des objectifs suivants, absolument absents du programme
de l'OMC, et qui s'y opposent le plus souvent :
· le maintien et le développement des services
publics dans les secteurs essentiels comme l'eau, la santé,
la sécurité sociale, l'éducation, la culture
et l'audiovisuel, les services de communication, les transports,
le logement, l'énergie ;
· le respect du principe de précaution en ce qui
concerne l'écologie, la santé publique et l'alimentation,
et notamment en matière de production et distribution des
OGM ;
· l'interdiction des brevets sur le vivant : plantes, animaux,
micro-organismes et gènes ;
· la proclamation comme bien commun de l'humanité
de l'eau, de l'air et du patrimoine génétique ;
· la modification des droits de propriété
intellectuelle sur les produits pharmaceutiques au bénéfice
des pays pauvres ;
· la reconnaissance et le droit à la préservation
des activités agricoles de subsistance ;
· la prise en compte des énormes différences
de productivité entre grandes zones géographiques,
et la nécessité de gérer ces différences
par un droit à la protection, dans le cadre d'un droit
international renouvelé, fondé sur des politiques
de développement et non sur le seul droit de la concurrence.
Une profonde réorientation nous paraît particulièrement
nécessaire dans la période ouverte par les attentats
du 11 septembre. La Banque Mondiale vient de publier, le 1er octobre,
un document alarmant qui révise à la baisse le taux
de croissance des pays en développement. Son président
de la Banque, James Wolfensohn, a tiré la sonnette d'alarme
: " Nous savons le coût humain des attentats perpétrés
récemment aux Etats-Unis, qui ont causé la mort
de citoyens de quelque 80 nations à New York, à
Washington et en Pennsylvanie ", a-t-il déclaré,
" mais il y a un autre tribut humain, largement ignoré
; il sera payé par l'ensemble des pays en développement,
et surtout par l'Afrique. Selon nos estimations, des dizaines
de milliers d'enfants supplémentaires mourront partout
dans le monde, tandis qu'environ 10 autres millions d'êtres
humains risquent de se retrouver en dessous du seuil de pauvreté,
avec moins de un dollar par jour pour vivre, en raison des attaques
terroristes. Tout simplement parce qu'ils auront perdu leurs sources
de revenu. Et bien plus nombreux encore sont ceux qui basculeront
dans la pauvreté si les stratégies de développement
sont compromises. "
Le samedi 10 novembre sera une journée de manifestations
à l'échelle internationale. Nous nous associons
à cette initiative et nous nous saisirons de cette occasion
pour interpeller l'opinion et les autorités européennes
sur la base des exigences suivantes à l'égard de
l'OMC :
· le refus d'un nouveau cycle de libéralisation
et de toute extension des pouvoirs et domaines de compétence
de l'OMC ;
· une évaluation, avec la pleine participation des
associations citoyennes, du bilan, ainsi que des règles
et pratiques de cette organisation depuis sa création;
· l'intégration de l'OMC, comme institution spécialisée,
dans un dispositif institutionnel global visant à mettre
en oeuvre une politique mondiale de lutte contre la pauvreté
et pour le développement ;
· sa subordination aux chartes internationales comme la
Déclaration universelle des droits de l'homme, et aux conventions
internationales relatives aux droits économiques, sociaux
et culturels et aux normes sanitaires et environnementales.
Cette subordination doit se traduire concrètement, en
particulier par des modalités de contrôle de toutes
les activités et décisions de l'OMC par des organes
indépendants (issus du BIT pour les droits économiques
et sociaux) et démocratiques chargés de vérifier
leur totale compatibilité avec les textes mentionnés.
Cette subordination doit aussi se traduire par la possibilité
de contester toute décision de l'OMC devant une juridiction
indépendante de l'OMC, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Contact : Michel Husson, hussonet@free.fr 01.48.15.19.06
Premiers signataires
Tony Andréani (sciences politiques, Univ.Paris VIII).
Mikaël Balabane, (Univ.Paris XIII)
Mireille Bardos (économiste)
Jacques Bournay
Nicolas Béniès (économiste)
Christian Berdot-Mair (Les Amis de la Terre)
Marc Bonhomme (économiste, Québec)
Lino de Carvalho (économiste et député, Portugal)
Odile Castel (Univ.Rennes I)
Pierre Concialdi (économiste, Réseau d'Alerte sur
les Inégalités)
Nathalie Corade (ENITA, Bordeaux).
Albano Cordeiro (CNRS)
Laurent Cordonnier (Univ.Lille I)
Pierre Cours-Salies (Institut d'études européennes,
Univ.Paris VIII)
Christine Delphy (directrice de Nouvelles Questions féministes)
Hélène Delorme (politologue, CERI, Fondation nationale
des sciences politiques)
Anne Dufresne (Observatoire social européen)
Pierre Duharcourt (Univ.de Marne la Vallée).
Alain Gély
Dominique Guibert
Janette Habel (Univ.Marne-la-Vallée)
Jean-Marie Harribey (Univ.Bordeaux IV)
Françoise Hatchuel (Univ. Paris X, revue EcoRev )
Jörg Huffschmid (Univ.de Brême)
Michel Husson (Conseil scientifique d'Attac)
Esther Jeffers (Univ.Paris VIII)
Bruno Jetin (Univ.Paris XIII)
Isaac Johsua (Univ.Paris XI)
Catherine Lévy (sociologue)
Dominique Lévy (directeur de recherches CNRS)
Francisco Louçã (économiste et député,
Portugal)
Michael Löwy (directeur de recherches CNRS)
Yannick Lung (économiste, Univ.Bordeaux IV)
Gustave Massiah (AITEC)
Antoine Math
Jacques Mazier
Denise Mendez
Pedro Montes (Présidence fédérale de Izquierda
Unida, Etat espagnol)
El Mouhoub Mouhoud (Univ.Paris Nord)
Martino Nieddu (Univ.Reims)
Jacques Nikonoff (Univ.Paris VIII)
Daniel Perraud (INRA)
Evelyne Perrin (AC!)
Claude Piganiol-Jacquet (Univ.François Rabelais de Tours)
Dominique Plihon (Univ.Paris XIII, Conseil scientifique d'Attac)
Christophe Ramaux (Univ.Paris I)
Pierre Salama (Univ.Paris XIII)
Catherine Samary (Univ.Paris IX Dauphine)
Catherine Sauviat (économiste)
Dominique Sicot (journaliste économique)
Jacques Texier (philosophe)
Bruno Théret
Eric Toussaint (CADTM, membre Conseil Scientifique d'ATTAC)
Stéphanie Treillet (IUFM Créteil)
Pierre Volovitch (économiste de la santé)
Arnaud Zacharie (CADTM)
29 octobre 2001
ATTAC - France
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