LAS CONFERENCIAS TEMÁTICAS: Taxer les revenus financiers
 

 

Modestes propositions pour sortir de la crise...

Le mouvement social qui a secoué la France en décembre dernier a mis en lumière les limites de l'économisme imposé au pays comme au reste de l'Union européenne. Allégement des charges du capital, démantèlement des acquis sociaux, libre-échange échevelé, surexploitation du tiers-monde, toutes ces recettes débouchent sur d'infinies misères, au nom d'un "avenir radieux". Alors que, au sein même des gouvernements européens, des voix s'élèvent pour mettre en doute le bien-fondé de ces politiques, n'est-il pas temps de secouer la pesanteur d'un modèle qui, longtemps, est apparu comme unique? Seul un projet remettant l'homme au coeur du développement et renouant avec l'ambition démocratique comme avec l'utopie permettra de rompre le cercle infernal. Encore faut-il d'abord assurer une formidable redistribution de la richesse. Taxation des revenus financiers, règle de la "clause sociale" dans les échanges commerciaux, création d'une Bourse des devises: autant de "modestes propositions" pour amorcer un véritable débat sur l'avenir.

Faire payer les riches? L'idée les porte à sourire, depuis qu'ils le sont, il y a fort longtemps. Taxer le capital et ses profits? Quoi de plus saugrenu, à l'époque de la mondialisation. Quand l'argent, des montagnes d'argent, se déplace instantanément par-delà les frontières, d'un point à l'autre du globe (1 500 milliards de dollars changent de mains chaque jour), en moins de temps qu'il n'en faut pour régler un mandat postal. Quand la compétition implacable devrait conduire à protéger les plus performants brasseurs d'affaires et leurs entreprises, qui, fortune au poing, conquièrent des parts de marché pour la survie de tous, au lieu de les assommer d'impôts spoliateurs au risque de les décourager de faire de l'argent. La vraie richesse aujourd'hui qui fait de vous un nanti n'est-elle pas un emploi stable dans le secteur protégé? Et puis les riches ne le sont pas autant qu'on l'imagine, ne serait-ce que parce qu'ils sont écrasés d'impôts, au-delà du supportable. Arguments inlassablement rabâchés par commentateurs et experts de la presse spécialisée. Car, enfin, vouloir taxer les plus fortunés par des impôts que ne paierait pas la majorité, "c'est une source de fracture pour la société alors que la cohésion apparaît de plus en plus nécessaire à l'environnement concurrentiel dans lequel les pays sont plongés (1)".

1993, année euphorique pour la Bourse, sinistre pour l'emploi: + 23 % à Paris pour le CAC 40 et trois cent mille chômeurs supplémentaires; + 43 % à Francfort et cinq cent soixante mille demandeurs d'emploi en plus en Allemagne; autant en Espagne, où la Bourse de Madrid fait + 50 %. Entre 1989 et 1993, le rendement cumulé des sicav atteint, en France, + 60 % - en franchise d'impôt sur le revenu. Dans le même temps, les hausses cumulées de salaires, taxées, sont de 18,9 % (2).

"Notre fiscalité sur les placements financiers est l'une des plus favorables d'Europe. Je ne prendrai qu'un seul exemple: un couple marié peut placer plus de 4 millions de francs sur divers produits financiers et en retirer plus de 300 000 francs dans l'année sans payer d'impôt." En toute légalité, le paradis fiscal chez soi, aussi bien qu'aux îles Caïman. Pour le ministre des finances, M. Jean Arthuis, qui s'exprime ainsi lors de la présentation du budget 1996, "il y a là quelque chose de choquant". Pas au point de mettre fin à des privilèges abusifs, depuis longtemps remarqués par le Conseil des impôts, qui perdurent depuis des années (3).

Il y a pourtant de quoi faire: le catalogue des exonérations, réductions, déductions, abattements, décotes, imputations, crédits d'impôts, prélèvements libératoires... est aussi fourni que celui d'une centrale d'achat par correspondance.

Ainsi, en matière d'impôt sur le revenu, outre la défiscalisation de l'épargne populaire des livrets A - qui permet aux plus riches de s'encanailler un peu, fiscalement parlant, à hauteur de 200 000 à 1 000 000 de francs selon la taille de la famille (4) -, figure l'éxonération des livrets bleus, des Codevi, des plans d'épargne retraite (PER), des plans d'épargne populaire (PEP), des comptes et des plans d'épargne en actions (CEA et PEA), des comptes d'épargne-logement... S'y ajoutent réductions d'impôt ou déductions du revenu imposable pour les intérêts d'emprunt, les dépenses de grosses réparations, de ravalement, d'isolation, d'équipements sanitaires et de sécurité concernant les propriétaires de résidence principale; mais aussi les investissements en logements locatifs, les parts de copropriété de navires, les capitaux investis dans les DOM-TOM (loi Pons), dans le cinéma et l'audiovisuel, les souscriptions au capital des PME ou des sociétés de capital-risque...

Revenus et plus-values réalisés sur les sicav monétaires, les fonds communs de placement (PCP), les stock-options, les actions et parts sociales, les obligations, échappent à l'impôt progressif, bénéficiant d'un prélèvement libératoire à taux réduit ne dépassant pas 20 %, de même que les plus-values professionnelles commerciales, industrielles, libérales. Tandis que sont déductibles les déficits des années antérieures, lorsque des pertes en capital ont été enregistrées dans les sociétés nouvelles ou en difficulté. Sans oublier la récupération des crédits d'impôt et avoirs fiscaux, ainsi que, cerise sur le gâteau, la réduction d'impôt, jusqu'à 45 000 francs, pour l'emploi d'un ou plusieurs domestiques à la maison, dernier cadeau de M. Edouard Balladur.

Comme dans les grands magasins, il se passe toujours quelque chose à Bercy, au ministère des finances, en faveur des détenteurs de capitaux, dont savent profiter les vrais amateurs: un rabais fiscal par-ci, une déduction en promotion par-là. Parmi les tout derniers en date, on peut citer: l'exonération d'imposition des plus-values de cession de titres de sicav et FCP monétaires de capitalisation réinvesties dans l'immobilier ou les équipements ménagers (5), l'exonération d'impôt de Bourse sur les valeurs cotées introduites au nouveau marché pour le financement des PME ou la prorogation de deux ans du délai de revente en franchise de droits de mutation des immeubles acquis par les marchands de biens (6).

Pour faire payer les riches, pas besoin de nouveaux impôts. Il suffit de supprimer la plupart des privilèges dont jouissent les détenteurs de capitaux, spécialité française que l'on ne retrouve pas ailleurs dans l'Union européenne, qui coûte aux contribuables une cinquantaine de milliards par an (hors livret A et avoir fiscal) et profitent surtout aux plus fortunés. Ainsi, sur plus de quatre millions de foyers bénéficiant d'un avoir fiscal, vingt mille, les plus riches, dont le revenu imposable dépasse 1 million de francs par an, raflent à eux seuls un tiers du total des avoirs fiscaux, une réduction d'impôt de plus de 50 000 francs par foyer en 1988 (7).

Sur environ 500 milliards de francs de revenus d'épargne financière perçus en 1992 (hors plus-values), seuls 100 milliards ont été imposés, la moitié à l'impôt sur le revenu, l'autre bénéficiant du prélèvement libératoire, au total pour une trentaine de milliards d'impôt (8). Rien d'étonnant à ce que sur vingt-cinq millions de foyers fiscaux, seulement onze mille paient plus de 50 % d'impôt et quatre-vingt-deux mille plus de 40 % (9).

Terre de privilèges

Le même principe devrait s'appliquer aux autres impôts censés frapper capital, fortune ou patrimoine, catalogues d'exonérations anciennes et nouvelles. Aux droits de succession dont le montant annuel représente moins de 2 % de la valeur des patrimoines transmis. A l'impôt sur la fortune (ISF) qui, à la différence des autres pays qui le pratiquent, est plafonné pour les plus riches (perte pour le Trésor: 800 millions de francs) et exonère les biens professionnels, la propriété industrielle, littéraire et artistique, les antiquités, les propriétés rurales louées à long terme. Censé financer le revenu minimum d'insertion (RMI), il devrait être multiplié par quatre pour en assurer la couverture et mériter son titre d'impôt de solidarité: les plus riches seraient ainsi incités à réduire l'exclusion.

Le retour à une imposition significative devrait aussi concerner les bénéfices des sociétés dont les taux, les plus bas du monde développé, sont passés de 1986 à 1994, de 50 % à 33 % pour les bénéfices non distribués et de 25 % à 0 % pour les bénéfices distribués (10). Tandis que se sont multipliés exonérations et crédits d'impôt en particulier pour les zones d'investissement privilégiées et les zones franches, remboursements de TVA (pour près de 100 milliards de francs) et exonérations de charges sociales, que les dégrèvements de taxe professionnelle pris en charge par l'Etat sont passés de 8 milliards de francs en 1988 à 35 milliards en 1995. Résultat: le taux d'épargne des entreprises est passé de 12,3 % en 1984 à 18,4 % en 1994 et la part du capital dans la valeur ajoutée de 27,6 % à 39,4 %, au détriment du travail et des salaires (11).

En 1981, fuyant l'arrivée des "rouges" au pouvoir en France, quelques fortunés affolés par des politiciens et des médias de droite s'étaient précipités aux Etats-Unis. Ceux qui n'y furent pas dépouillés par des aigrefins locaux revinrent prospérer au pays après avoir découvert que les impôts sur le revenu et la fortune n'étaient pas moins élevés au paradis du grand capital et que les socialo-communistes se montraient plus empressés à séduire les marchés que les soviets. La France étant terre de privilèges, y compris fiscaux, le risque de perdre ceux qui possèdent la meilleure part des revenus et des patrimoines est limité. 1 % des Français détiennent 25 % de la fortune nationale, 10 % en détiennent 55 % ainsi que 32 % des revenus avant impôt et encore 29 % après. (12).

Ce sont dans les affaires que se font les fortunes, accumulées dans des patrimoines qui, bien gérés, produisent rentes et plus-values avant de se transmettre, par succession, de génération en génération: un mouvement que les riches maîtrisent parfaitement (13). Impôt sur les bénéfices (IS), sur la fortune (ISF), sur les revenus et les plus-values (IR), sur les successions, il y a tout ce qu'il faut dans la législation fiscale pour taxer le capital et faire payer aux riches leur part de charges communes, sinon la volonté des représentants du peuple de faire respecter la loi et les principes de la République.

Christian de Brie, Le Monde Diplomatique

Notes:
(1) Conjoncture, décembre 1995.
(2) Alternatives économiques, février 1994, p. 17.
(3) Onzième rapport du Conseil des impôts, "L'impôt sur le revenu", Journal officiel, 1991.
(4) Chaque enfant donne droit à l'ouverture d'un livret A plafonné à 100 000 F. Au total on compte 48 millions de livrets totalisant près de 700 milliards de francs.
(5) "Mesures économiques annoncées le 21 décembre 1995", ministère des finances, conférence de presse du 27 décembre.
(6) Loi de finances rectificative pour 1995.
(7) Onzième rapport du Conseil des impôts, op. cit., p. 163.
(8) Commission d'étude des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les ménages, Rapport Ducamin, 1995, p. 87.
(9) Idem, p. 139.
(10) Compte tenu du remboursement de l'impôt à l'actionnaire sous forme d'avoir fiscal.
(11) Rapport général du budget 1996, Assemblée nationale.
(12) Lire Christian de Brie, "Corriger par l'impôt l'inique répartition des richesses", Le Monde diplomatique, janvier 1995.
(13) Lire Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Grandes Fortunes, Payot, Paris, 1996.

 




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