Dette, croissance et répétitions
des crises financières
L'emprunt extérieur a pendant longtemps
été considéré comme une source de
financement des déficits internes et externes (modèles
à doubles déficits de Chenery et Strout, 1966).
Au niveau interne, le déficit renvoie à l'insuffisance
de 1'épargne intérieure qui doit financer les
besoins d'investissement. Au niveau externe, il s'agit de trouver
les ressources nécessaires au financement du solde déficitaire
de la balance courante. Nombre de pays ont donc recours à
1'épargne externe pour couvrir leurs besoins de consommation
et d'investissement. De ce fait, le financement extérieur
vient s'ajouter aux recettes d'exportations pour autoriser des
niveaux de dépenses supérieurs aux revenus réels
permanents des économies endettées. Ainsi, le
boom des recettes d'exportations tirées du pétrole
a dirigé - au delà même de ces recettes
- d'importants flux de capitaux vers les pays qui en ont bénéficié.
Comme le dit l'adage, "on ne prête qu'aux riches"!
Jarret et Mahieu [1991] montrent, à travers 1'exemple
de la Côte-d'Ivoire, que ces apports de capitaux bénéficient
également à des pays rentiers non pétroliers.
Les mouvements de capitaux sont en effet guidés par les
variations de taux d'intérêt, qui découlent
elles-mêmes de la rareté relative du capital.
L'emprunt extérieur permet ainsi de desserrer
certaines contraintes intérieures. Il donne la possibilité
de différer des mesures de politique économique
impopulaires, comme l'augmentation de la pression fiscale. Les
mouvements de capitaux sont également considérés
comme des mécanismes de transmission de la croissance
à travers la substitution progressive de 1'épargne
locale aux flux extérieurs de capitaux. En fait, de tels
modèles s'interrogent sur le niveau d'endettement extérieur
compatible avec le taux de croissance de la production. En d'autres
termes, il s'agit de déterminer les conséquences
du financement extérieur sur la croissance et 1'équilibre
de la balance des paiements. La réponse la plus ancienne
à cette question constitue la " théorie des
stades de la balance des paiements " [Caimes, 1874; Bastable,
1899]. Selon elle, les économies passent par quatre phases
successives qui marquent la transformation à terme des
pays nouvellement emprunteurs en pays prêteurs évolués.
Tableau : Les quatre stades de la balance des
paiements
Situation du paysStades de la BP |
Pays nouvellement emprunteur |
Pays emprunteur évolué |
Pays nouvellement prêteur |
Pays prêteur évolué |
Balance commerciale |
Négative |
Positive |
Positive |
Négative |
Balance des revenus |
Négative |
Fortement négative |
Négative puis positive |
Fortement positive |
Balance des capitaux |
Positive |
Positive |
Négative |
Négative |
Balance interne (S - I) |
Négative |
Positive |
Positive |
Négative |
Note: La balance interne ne comprend que 1'épargne
domestique sur le revenu intérieur.
Les signes de la balance commerciale et de la balance interne
sont forcément identiques, puisque S - I = X - M.
Les modèles tirés de cette théorie
reposent donc sur l'hypothèse que le financement extérieur
est destiné à l'investissement productif. En vertu
des modèles de croissance Harrod-Domar, il n'y a pas
de substitution entre les facteurs de production : l'offre de
travail est parfaitement élastique, la croissance ne
dépend donc que de la croissance du stock de capital.
Le financement extérieur vient combler le déficit
extérieur (déficit de la balance courante, auquel
s'ajoute le service de la dette extérieure). Ainsi, les
épargnes internes et externes sont considérées
comme complémentaires. Or, dans de nombreux cas, la relation
négative entre 1'épargne interne et les flux financiers
internationaux est démontrée.
Par ailleurs, on suppose que les capitaux extérieurs
financent l'investissement interne. Cette dernière hypothèse
ne se vérifie pas toujours. Dans bien des cas, le financement
extérieur est venu combler le déficit budgétaire
; il en est ainsi au Sénégal. Aussi bien, cela
peut signifier qu'il existe des niveaux d'endettement plus ou
moins soutenables. Au delà d'un certain seuil, les emprunts
nouveaux permettent seulement, dans le meilleur des cas, de
rembourser les emprunts passés. Au pire, ils ne permettent
même plus d'assurer le service de la dette. C'est 1'effet
"boule de neige". Quand le taux d'intérêt
de 1'emprunt est supérieur au taux de croissance de 1'économie,
le poids de la dette dans le PNB s'accroît indéfiniment.
Dès lors, il devient essentiel d'évaluer le niveau
d'endettement que peut supporter une économie. Pour cela,
on peut utiliser des critères simples, tels que les ratios
suivants
I. Endettement total sur PNB. Si le ratio est
inférieur à 30 %, alors - selon le FMI - le pays
est faiblement endetté.
II. Endettement sur recettes d'exportations de
biens et services. Si ce ratio est inférieur à
165 % - toujours selon le FMI -, le pays n'a pas atteint un
niveau d'endettement inquiétant.
III. Service de la dette sur recettes d'exportations
de biens et services. Si le pays consacre annuellement plus
de 30 % de ses recettes d'exportations de biens et services
à rembourser le capital et les intérêts,
il est dans une situation financière difficile. Si le
service de la dette absorbe moins de 18 % des recettes d'exportations,
la situation financière a toutes les chances d'être
saine.
IV. Service de la dette sur PNB. Ce ratio mesure
la part des richesses produites par un pays qui sera prélevée
pour être versée à 1'extérieur. Ainsi
lorsque le service dépasse 4 % du PNB et 18 % des recettes
d'exportations, 1'emprunteur aura des difficultés à
remplir ses obligations.
V. Charge des intérêts sur recettes
d'exportations de biens et services. Ce ratio n'a de sens que
lorsque les pays emprunteurs ne remboursent plus, ou en partie
seulement, le capital emprunté. Du fait des rééchelonnements,
le service de la dette se limite aux versements des intérêts
; et si ces versements dépassent 20 % des recettes d'exportation,
le pays se trouve dans une situation financière difficile.
Les crises d'endettement ne sont ni nouvelles
ni historiquement localisées dans le Tiers-monde. Elles
sont non seulement récurrentes mais n'admettent pas de
solutions faciles. Des pays aujourd'hui industrialisés
ont connu de graves crises financières. Ce fut le cas
des USA entre 1839 et 1843. Sept états cessèrent
de payer les intérêts de leur dette, et deux autres
- le Mississippi et la Floride - répudièrent purement
et simplement leurs dettes.
D'autres pays ont bénéficié
d'un apport considérable de capitaux étrangers
sans que cela ne se traduise par des progrès significatifs
en matière d'industrialisation. C'est le cas de l'empire
Ottoman durant la période 1854-1875, qui bénéficia
d'un apport important de capitaux extérieurs à
des taux d'intérêts (6 %) relativement élevés
pour 1'époque. En 1876, l'état Ottoman se déclara
en cessation de paiements. L'exemple turc n'est pas isolé.
En effet, ce fut aussi le cas de l'égypte et de la Tunisie
à partir de 1870, de la Grèce à partir
de 1897, du Venezuela à partir de 1903, de St Domingue
à partir de 1905...
Plus récemment, à la fin des années 1980,
les états-Unis ont à nouveau atteint des niveaux
d'endettement records. L'état et les ménages consommaient
au delà de leurs moyens, tandis que les recettes d'exportation
étaient largement inférieures au coût des
importations. Cette situation n'a pas été sans
provoquer des différends importants avec des pays prêteurs
et exportateurs, notamment le Japon, dont 1'excédent
d'épargne a alors largement été mis à
contribution.
L'endettement du Sénégal est-il
soutenable ?
On s'intéresse ici aux trois premiers ratios
de soutenabilité de la dette, ce qui ne signifie pas
que le Sénégal ne soit pas entré dans le
club des pays endettés bénéficiant d'un
rééchelonnement.
En ce qui concerne le ratio dette/PNB, il passe de 50,5 en 1980
à 82,3 en 1995. En 1980, ce ratio soulignait déjà
le caractère préoccupant de la situation financière.
Elle devient explosive en 1995. En effet, la dette extérieure,
en pourcentage du PNB, ne doit pas excéder 30 %. Au Sénégal,
ce ratio dépasse la limite admise depuis 1980. Pire encore,
l'ajustement, dont l'un des objectifs est de permettre le remboursement
de la dette extérieure, a contribué à compromettre
la situation financière du pays.
S'agissant du deuxième ratio (dette/recettes d'exportations
de biens et services), le même constat doit être
fait. Le pays atteint un niveau d'endettement inquiétant
au regard des normes généralement indiquées
par le FMI (165 %). En 1995, le Sénégal culmine
à 224,3%.
Le troisième ratio retenu est le service
de la dette/les exportations de biens et services. D'après
celui-là, 1'économie est en meilleure posture.
En effet, les recettes d'exportations permettent d'assurer le
service de la dette sans que la situation financière
ne se dégrade. On peut même dire que rien ne s'oppose
à ce que la situation ne redevienne saine, toujours relativement
à l'opinion des bailleurs de fonds.
On pourrait tout de même signaler les contradictions
que soulèvent ces chiffres, tirés du Rapport de
la Banque mondiale sur le développement dans le monde
de 1997. En effet, si le volume de la dette est une contrainte,
comment concevoir que le remboursement soit aisé ? Ceci
s'expliquerait par les rééchelonnements de la
dette intervenus depuis le milieu des années 1980. Cette
situation serait également le fruit des annulations et
conversions de dettes. Elle serait encore censée résulter
des effets bénéfiques de la dévaluation
du F CFA en 1994.
Mais, pour ne retenir que la dévaluation,
il n'est pas sûr que ses effets aient été
aussi bénéfiques qu'on veut trop souvent l'admettre.
L'hypothèse de départ, c'était que les
exportations devaient tirer la croissance. L'augmentation de
la production dans les industries exportatrices entraînerait
un accroissement de la demande de travail et de biens d'équipement
de leur part. Cette augmentation bénéficierait
à 1'ensemble de 1'économie par effet d'entraînement.
Mais dans les faits, le ratio des exportations
par rapport aux importations est resté stable dans les
années 1990, avant comme après dévaluation
(environ 60%). La valeur des exportations a grosso-modo doublé,
après dévaluation, tout comme celle des importations.
C'est la conséquence d'un effet-prix et d'un effet volume.
Il reste à savoir, pour chacune des deux augmentations,
lequel des deux effets a été le plus important.
S'agissant des exportations, il est clair que
1'effet volume a été le plus important, étant
donné la diminution de leur valeur nominale. En revanche,
le renchérissement des importations est probablement
bien plus dû au renchérissement de leur valeur
qu'à l'augmentation de leur volume (leur valeur globale
a doublé, ce qui constitue sans doute une conséquence
mécanique de la dévaluation de 50%).
La signification de tout cela, c'est que le volume
des exportations a augmenté, mais pas suffisamment pour
compenser le renchérissement de la valeur des importations.
Le ratio est, en effet, toujours égal à 60%. Davantage:
si M/X est resté constant, l'augmentation des volumes
respectifs des importations et des exportations s'est traduite
par une détérioration des termes de 1'échange.
Le solde négatif a donc augmenté.
Endettement extérieur et croissance au
Sénégal
L'analyse de 1'endettement extérieur sénégalais
peut être découpée en trois temps. La première
période, qui va de la fin des années 1970 à
1982, est caractérisée par des taux de variation
de l'encours de la dette exponentiels. L'encours de la dette
publique à moyen et long termes, qui se chiffre à
112 mds de FCFA en 1977, augmente régulièrement
entre cette date et 1982 à des taux de croissance élevés
(de 38,15 % en moyenne). L'encours passe alors à 532
mds de FCFA en 1982. Cette hausse fulgurante est à mettre
en relation avec les déficits pluviométriques,
la détérioration des termes de l'échange,
la conjoncture financière internationale favorable des
années 1970 (prêts à des taux concessionnels),
ainsi qu'avec la flambée des prix du pétrole.
Durant cette période, 1'encours de la dette extérieure
rapporté au PIB est de 35 % en moyenne.
La deuxième période, qui va de 1982
à 1985, correspond à la cessation de paiements
du Mexique et à la première demande de rééchelonnement
du Sénégal. Elle est marquée par une baisse
relative (-1,42 %) de 1'encours de la dette extérieure.
Le troisième temps, qui se situe entre
1985 et aujourd'hui, correspond à une période
de resserrement des contraintes financières. L'encours
de la dette recommence d'abord à croître relativement
vite (mais à des niveaux inférieurs à 10
%). Avec le changement de parité intervenu en 1994, le
taux de variation passe brutalement de 9 à 75%. Au lendemain
de la dévaluation, 1'encours de la dette extérieure
est de 1793 mds de FCFA, malgré les rééchelonnements
répétés (leur montant passe de 0,4 en 1980
à 345,2 mds de FCFA en 1996). La multiplication des démarches
menées auprès des bailleurs ne permet guère
qu'une é1imination des arriérés de paiements
intérieurs et extérieurs fin 1995. En effet, à
partir de 1993, 1'encours de la dette excède le PIB réel.
Au début de la décennie 1980, la
dette bilatérale et les crédits commerciaux représentent
80 % de la dette extérieure. La France et les pays de
l'Organisation de Coopération et de Développement
économique (OCDE) jouent un rôle moteur, en ce
qui concerne les prêts à leurs ex-colonies. Les
crédits commerciaux restent actifs jusqu'au milieu des
années 1980. A partir de cette date, les crédits
commerciaux comme l'aide bilatérale des pays occidentaux
s'estompent pour laisser la place à l'aide bilatérale
des pays arabes et surtout, aux crédits et dons multilatéraux.
La dette rééchelonnée fait alors son apparition,
stigmatisant les difficultés de paiement du Sénégal.
En effet, avec l'application des PAS, la Banque mondiale devient
prépondérante dans le volume de l'emprunt international.
Depuis 1989, les crédits multilatéraux et la dette
rééchelonnée représentent en moyenne
70 % de l'encours de la dette extérieure du Sénégal.
La structure de la dette extérieure est alors façonnée
par le recul de la coopération bilatérale et la
disparition des crédits commerciaux au profit de la coopération
multilatérale et de la dette rééchelonnée.
Cette période est celle de l'ajustement.
En échange de conditionnalités, les institutions
financières internationales accordent un certain nombre
de facilités qui vont progressivement limiter la croissance
de 1'encours.
Tableau : Agrégats des entrées et
des sorties nettes de capitaux (en millions de dollars US)
1980 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Entrées nettes capitaux 263 512 691 365 572 395 551 419
406
Emprunts à LT 171 242 81 26 220 97 8 16 17
IDE 15 0 57 - 8 21 - 1 67 32 49
Dons privés 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Aide (hors coop. tech.) 78 270 553 347 331 299 476 371 340
Mémo: Aide coop. tech. 122 1342 180 172 201 180 164 189
160
Transferts nets 161 335 574 234 483 335 458 322 308
Intérêts sur dette à LT 67 149 84 92 47
23 55 57 64
Transferts sur IDE 34 28 33 39 42 37 38 40 34
Source: Banque Mondiale, 1998
A partir de 1989-1990, le pays a contracté de moins en
moins de dettes et ses ressources nettes en devises proviennent,
dans leur grande majorité, de l'aide multilatérale
sous forme de dons. Il s'agit des contreparties offertes par
les institutions financières internationales en échange
de l'ajustement. L'encours n'a donc pas diminué - il
est resté sensiblement équivalent -, alors même
que le Sénégal a bénéficié
d'importants transferts nets à titre gratuit. De fait,
cela signifie que la dépendance du pays vis-à-vis
de l'extérieur (que l'ajustement était censé
réduire) s'est encore accrue. Cette situation s'explique
aisément dès lors que l'on prend connaissance
de 1'évolution de l'indice de la production.
Tableau : PNB du Sénégal (en millions de dollars
US)
Année 1980 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
PNB 2916 4424 5521 5346 3925 3978 3740 4713 5025
Source: Banque Mondiale, 1998
La légère reprise annoncée en 1996 a tout
juste permis de retrouver le niveau du début de la décennie.
En réalité, au cours des années 1990, le
revenu réel par habitant a diminué.
En effet, tandis que le volume de la production stagnait, 1'encours
de la dette publique se situait conjointement à un niveau
insoutenable (entre 70 et 100 % du PNB depuis 1989), nécessitant
ainsi d'importants remboursements, tandis que la croissance
démographique demeurait forte (2,7%).
Tableau : PNB/habitant (en dollars US)
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
PNB/hab 754 706 759 666 422 516 552
Source: DPS, déc. 1997
Ces indications traduisent la nécessité d'une
économie sénégalaise qui a basculé
dans la pauvreté.
Endettement extérieur et pauvreté au Sénégal
Les secteurs de la santé et de l'éducation, les
plus sensibles à 1'évolution de la population,
sont les plus sévèrement touchés par les
mesures d'ajustement structurel. Les dépenses budgétaires
de santé sont inférieures à 1,8 % entre
1990/81 et 1990/91 et, pour l'éducation, seulement 2
% des dépenses sont consacrées à l'achat
de matériel didactique et pédagogique. Depuis
1985, les dépenses de fonctionnement sont, en Francs
constants, de 25 à 35 % inférieures à leur
niveau de 1980. Tandis que les recettes fiscales restent, durant
la période 1985-90, 10 à 17 fois inférieures
à leur niveau de 1980, les Plans d'Ajustement Structurel
tendent à faire l'impasse sur le rôle de l'état
dans la redistribution des richesses. En effet, depuis le début
des années 1980; la discussion sur une meilleure répartition
des richesses n'est plus d'actualité, supplantée
qu'elle est par les PAS. En invoquant la pertinence, les PAS
imposent des coupes franches dans les budgets sociaux. La stratégie
de la Banque mondiale et du FMI consiste à favoriser
le facteur capital au détriment du facteur travail (les
conditions de vie des populations). Les déflations, les
fermetures d'entreprises, leurs restructurations, leurs privatisations
et autres aménagements permettent un assainissement des
finances publiques mais rendent la situation socio-économique
davantage explosive [N'Diaye, à paraître].
L'évaluation des conditions de vie [Banque mondiale,
1994], qui se fonde sur un seuil alimentaire de 2400 calories
par jour et par personne constituant la norme officielle de
l'Organisme de Recherches sur l'Alimentation et la Nutrition
Africaines (ORANA) et de l'OMS en matière de maintien
du métabolisme de base, donne la distribution spatiale
de la pauvreté au Sénégal (cf. tableau
suivant).
Tableau : Distribution régionale de la pauvreté
au Sénégal
(nombre d'individus, ménages, %)
Régions du Sénégal Ménages pauvres
Individus pauvres % ménages urbains % ménages
ruraux % total ménages pauvres
Dakar 22.695 277.320 12.5 nd 12.5
St-Louis 10.270 123.137 10.8 14.7 13.2
Diourbel 13.732 152.290 7.9 22.7 19.1
Thiès 22.433 247.535 12.3 25.8 20.9
Ziguinchor 17.712 164.383 22.5 53.6 37.8
Tamba 16.296 170.126 17.1 44.3 38.9
Kaolack 35.564 379.890 17.4 48.3 40.1
Louga 21.264 219.885 14.0 45.8 40.4
Fatick 23.902 261.405 24.6 46.7 43.9
Kolda 31.8921 306.826 24.9 57.1 52.6
Total 215.760 2 302.797 13.0 37.0 32.0
Source: Banque mondiale [1994a: à-131
Selon le tableau, 32 % des ménages sénégalais
vivent dans la pauvreté. La pauvreté rurale prend
différentes formes dont on peut citer une liste non exhaustive
: absence ou faiblesse du revenu monétaire, baisse de
l'autoconsommation, difficultés d'accès au crédit
et à la terre, faiblesse de la couverture des services
sociaux de base, lourdeur du travail des femmes, faiblesse du
niveau d'instruction, etc. Le revenu moyen rural est 3,5 fois
inférieur à celui du milieu urbain et de ce fait,
entrave toute accumulation qui permettrait d'asseoir des entreprises
génératrices d'excédents agricoles et de
revenus. Paradoxalement, les sources de revenu monétaire
des couches pauvres rurales sont issues des activités
non agricoles, des transferts sociaux (solidarité nationale)
et de revenus (provenant, par exemple, de membres familiaux
installés dans les pays développés ou dans
les centres urbains nationaux). Moins du tiers de leurs revenus
provient de la culture de l'arachide. La paupérisation
rurale se manifeste au niveau communautaire et semble plus aiguë
et plus structurelle que son corollaire urbain.
Dans les zones urbaines, la pauvreté présente
un autre visage : elle ne se situe plus au niveau communautaire
mais au niveau des individus, des familles et des ménages.
Si la pauvreté urbaine exprime des inégalités
qui augurent le plus souvent d'un processus moins structurel
et peut-être réversible, elle n'en gagne pas moins
du terrain en terme d'ampleur.
En milieu urbain, la pauvreté est localisée dans
les ménages de grande taille (12 personnes contre 7,7
pour les moins pauvres à Dakar) dont le chef a bénéficié
d'une faible instruction et exerce une activité précaire
aux revenus incertains. A Dakar, seulement 24 % des pauvres
- 13 % dans les autres villes - sont salariés et bénéficient
donc de la sécurité sociale institutionnelle.
L'analyse spatiale de la pauvreté met en exergue une
disparité entre les zones urbaines qui regroupent en
moyenne 17 % des pauvres et les zones rurales qui dépassent
le cap des 40 %. Parmi les dix régions du Sénégal,
six dépassent la moyenne nationale. A part Fatick, Tambacounda
et Ziguinchor qui bénéficient de structures touristiques,
les autres régions (Kaolack, Louga et Kolda) ne tirent
leurs revenus que de l'agriculture et dans une moindre mesure
de la pêche (Kaolack). Ces moyennes cachent d'importantes
disparités qu'une analyse au niveau du département
ou du district pourrait mettre en lumière.
La gestion de la dette
Les ressources empruntées n'ont pas toujours servi à
des investissements productifs mais plutôt soit à
financer des consommations ou des équipements publics
sans réelle utilité, soit à alimenter la
corruption. Une part non négligeable des recettes d'exportations
des pays endettés est transférée tous les
ans vers les pays du Nord. Il semble difficile, voire inacceptable,
d'admettre que les pays du Tiers monde continuent à payer
les intérêts alors que ce prélèvement
sur leurs ressources pèsent lourdement sur leur capacité
à investir et sur leurs niveaux de vie. Par ailleurs,
cet endettement excessif a pour conséquence de créer
un climat d'incertitude qui encourage les sorties de capitaux
et décourage les arrivées d'investissements directs
étrangers ou le retour des capitaux enfuis. Enfin, 1'endettement
pose un problème d'équité et de justice
car, ceux qui remboursent (les populations rurales et urbaines)
ne sont pas les principaux bénéficiaires des projets
financés par la dette.
Les deux principales mesures de gestion de la dette internationale
que sont les PAS et les rééchelonnements n'ont
pas donné les résultats escomptés. A ces
deux solutions s'ajoutent la réduction des taux d'intérêt,
les rachats de dettes, les conversions de dettes en actifs réels
ou en obligations et les annulations de dettes.
· Les PAS se manifestent par une déflation de
la demande intérieure publique et privée, une
réduction des déficits budgétaires, une
amélioration de 1'équilibre de la balance des
paiements courants. Pour cela, il faut freiner la progression
des salaires de la fonction publique et assainir la situation
financière des entreprises publiques. Parallèlement,
par des mesures fiscales et/ou monétaires, encourager
1'épargne intérieure et limiter la consommation
de biens de luxe, généralement importés.
· Les rééchelonnements sont des aménagements
négociés des échéances de remboursement.
Des délais de grâce sont alors accordés
sans que les intérêts ne continuent de courir.
· Les rachats de dettes " debt buy backs ".
L'emprunteur rachète la dette en profitant d'une décote
qu'elle subit sur le marché secondaire des dettes. Il
évite à l'avenir d'avoir à verser les intérêts
afférents à la dette et à rembourser la
totalité du capital emprunté. En revanche, cet
achat s'opère dans des devises car le prêteur souhaite
que le remboursement se fasse dans la monnaie d'emprunt ou tout
au moins en monnaie convertible. C'est l'importance du coût
en devises pour le pays endetté qui limite le nombre
de ces rachats. Plus la décote est élevée,
moins 1'effort demandé à 1'emprunteur est grand.
Ainsi, la banque créancière qui récupère
de "l'argent frais" assainit son bilan mais subit
une perte d'actifs équivalant à la décote.
· Le rachat-conversion en actifs réels "debt
equity swap". L'emprunteur échange une créance
contre une participation dans une entreprise publique ou, plus
généralement, il rachète en monnaie locale
et, avec la somme reçue, la banque investit dans le pays
ou prend des participations dans des établissements financiers
locaux. Cette opération met en relation une banque, un
pays emprunteur et un investisseur.
· Les conversions en obligations " exit bonds ".
Ce sont des obligations échangées sur la base
d'une décote contre un titre généralement
libellé dans la même devise que la dette. Leur
durée est longue de l'ordre d'une vingtaine d'années.
Ces titres sont souvent négociables c'est-à-dire
qu'ils peuvent être vendus librement sans l'accord de
l'émetteur à toute personne morale ou physique
désireuse de les acquérir.
· La réduction des intérêts ne s'applique
en général que sur les dettes non concessionnelles.
Elle s'opère si les pays du Nord consentent à
octroyer des subventions aux banques qui acceptent de réduire
leurs intérêts.
· L'annulation des créances. Cette solution à
la crise de l'endettement international n'est pas nouvelle.
En effet, dès 1978, les premières annulations
de dettes sont opérées par l'Allemagne (1,8 mds
$ US) et la Grande-Bretagne (228 millions $ US) à l'initiative
de la CNUCED. Dix ans plus tard, 12 pays annulèrent un
peu plus de 3 mds $ US qui ont essentiellement profité
aux pays d'Afrique Subsaharienne mais ne représentent
que 3 % du volume de la dette en 1988. Si une telle solution
est souhaitable, il convient de remarquer que les annulations
de dettes restent marginales lorsqu'on pose le problème
de manière globale (2,3 mds $ US entre 1980 et 1988).
Même si les annulations ne constituent pas une solution
idéale, elles représentent une bouffée
d'oxygène pour les pays les plus endettés et les
plus pauvres de la planète, notamment ceux d'Afrique
Subsaharienne.
Conclusion
L'endettement international est une source importante de financement
pour les économies dont 1'épargne nationale est
faible, voire inexistante. Cependant comme on l'a montré,
si la dette dépasse un certain seuil, elle se transforme
en corset assorti de conditionnalités qui risquent de
compromettre le développement qu'elle est censée
alimenter. Si l'endettement international est souhaitable, il
doit être circonscrit dans des limites définies
pour permettre la constitution d'une épargne nationale
capable de se substituer à lui progressivement.
Encours de la dette publique extérieure du Sénégal
entre 1987 et 1996 en mds FCFA
Année Source de la dette 1987 1988 1989 1990 1991 1992*
1993* 1994* 1995 1996
FMI 91.6 96.4 91.4 80.6 84.8 74.7 72 160.3 167 163.8
- dont fonds fiduciaires 4.2 2 0.4
Crédits multilatéraux 235 307.7 323 316 353 411
448.3 865.4 863.7 1018.2
- BIRD/AID/FIDA 144 199.6 216 214 239 267 285.5 563.6 562.3
713.7
- BEI/FED 30.1 33.1 33.2 31.8 32.8 34 32.9 70.7 61.9 60.1
- BAD/FAD 31.6 40.3 40.8 43 51.6 74 95.6 175.9 191.8 200.2
- OPEP/BADEA/BID 23.2 25.9 24.1 18.5 19.2 21.9 23.6 34.3 29.3
28.2
-BOAD et CEDEAO 6 8.8 8.9 8.5 10.1 14 10.6 20.9 18.5 16
Crédits bilatéraux 358 379.9 222 209 206 204 214.8
359 250.1 266
- Pays de l'OCDE 232 270.5 111 119 116 129 139 146.6 130.9 135.6
dont France 147 167.6 45.2 53.6 61.9 61.6 71.1 0 0 0
- Pays Arabes 118 100.1 100 83 80.4 63.9 70 192.5 103 114.2
- Autres pays 8.6 9.3 10.4 7.1 9.6 11 5.8 19.9 16.2 16.2
Crédits commerciaux assurés 38.4 33.7 27.4 19
12.9 18.1 13.2 24.9 0.6 38.7
Crédits commerciaux non assurés 11.6 11.2 10,6
9.4 3.3 2.9 2.3 3 1.2 0.9
UNICEF 4 1.7 0
Total partiel I 734 828.9 674 634 660 711 750.9 1417 1284 1487.6
Dette rééchelonnée 154 165.1 134 133 129
146 155 288.4 348.1 345.2
- Club de Paris 128 141.2 107 112 104 130 145 262.9 280.8 283.6
- Club de Londres 17.8 11.9 11.9 9.4 10 8.8 10 20 9.7 7.5
- Autres accords 8,5 12 15.1 11.2 15,4 6.1 -- 5.5 57.6 54.1
Dette Air Afrique 22.2 21 16.1 12.4 8.6 3.8 1,4 0.8 0 0.3
Total partiel II 911 1015 824 779 798 860 907 1706 1632 1833.1
Dépôt Koweitien 32 32 32 32 32 28.2 29.8 59.6 59.5
Intérêt sur solde du c o 49 45.1 44.7 44.1 40.3
46.6 86 27.7 27.7 24.6
Total Général 992 1092 901 855 870 935 1023 1793
1719 1917
Source: Direction de la Dette et de l'Investissement, 1997
Karim Dahou , Moustapha Kassé et Abdourahmane
N'Diaye
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