Convoquée par :
· Via Campesina, Fédération mondiale paysanne
animée par le Mouvement des sans terre (MST) du Brésil
et la Confédération paysanne de France et dont
fait partie le National Farmers Union du Canada anglais et (peut-être)
la toute nouvelle Union paysanne du Québec,
· Focus on the Global South, ONG thaïlandaise animée
par Walden Bello connue surtout par sa critique des OMC, FMI/BM
et Nations-unies,
· ATTAC-France, organisation de masse anti-globalisation
composée d'organisations sociales et d'individus, issue
d'une initiative du Monde Diplomatique, et
· la Confédération unie du travail (CUT)
du Brésil, l'unique et grande confédération
du travail du Brésil,
réunion qui s'est tenu à Mexico du 12 au 14 août
2001
Trois de ces quatre groupes ont joué un rôle important
lors du Forum social mondial de Porto Alegre avec la Marche
mondiale des femmes qui était représentée
à cette réunion par une déléguée
sud-américaine dont le rôle m'a paru effacé.
L'ordre du jour de la réunion consistait à évaluer
l'état du mouvement anti-globalisation et à en
esquisser les perspectives (stratégie et tactique) en
vue particulièrement du prochain Forum social mondial
de Porto Alegre.
Composition
La grande majorité des 270 participantes provenait d'organisation
paysannes latino-américaines, y compris des syndicats
ruraux et groupes de femmes, dont un contingent important des
femmes et de représentantes aborigènes, cela en
grande partie à cause du congrès de la CLOC, la
composante latino-américaine de Via Campesina, qui venait
de se terminer dans la banlieue de Mexico. En comparaison, il
y avait très peu de représentantes syndicales
non-rurales, un peu plus d'organisations sociales et d'ONG,
et quelques rares personnes représentantes de partis.
La représentation géographique était tout
autant déséquilibrée en faveur de l'Amérique
latine. Cependant, la répartition par pays en son sein
était assez dispersée à l'exception d'une
importante crête mexicaine, le pays hôte, et une
représentation proportionnellement un peu plus forte
des pays andins et d'Amérique centrale et aussi des Caraïbes.
Pour l'Europe, on notait un bon contingent de France, d'Italie,
d'Euskadi et d'Espagne et des représentantes d'Allemagne,
d'Autriche, de Belgique mais seulement quelques rares personnes
des pays scandinaves et même de Grande-Bretagne, et personne
d'Europe de l'Est. L'Asie n'était représentée
que par un Indien, un Indonésien et une petite délégation
thaïlandaise. Cependant, l'ambassade mexicaine avait refusé
de donner des visas à une délégation des
Philippines. L'Afrique n'avait aucune représentante ni
le Proche et Moyen-Orient.
Des États-unis, on comptait une douzaine de personnes
provenant surtout d'ONG mais aussi d'organisations de base d'Afro-Américaines
pauvres et de travailleuses agricoles et d'un parti d'extrême-gauche.
Trois personnes venaient du Québec-Canada, plus exactement
une Québécoise active dans l'organisation de réunions
internationales, un Québécois qui représente
Common Frontiers à Mexico et moi-même. L'absence
de la Marche des femmes du Québec, d'Alternatives et
même d'ATTAC-Québec m'a surpris, de même
que l'absence de Canadiennes anglaises. En tout, 39 pays étaient
représentés. Globalement, étaient bien
représentés les " exclues " du néolibéralisme
soit les paysannes, les femmes et les peuples aborigènes
mais non les jeunes, assez peu nombreuses. À noter, cependant,
l'absence des Zapatistes dont toutes reconnaissent le rôle
d'initiateur du mouvement anti-globalisation.
Évaluation
Au niveau de l'évaluation du mouvement anti-globalisation,
l'assemblée a constaté que l'offensive du capital
se poursuit malgré une importante " crise de légitimité
" due à la fois à une crise de crédibilité
du modèle suite à la crise est-asiatique, à
la prise de conscience des effets néfastes des privatisations
(ex. crise de l'approvisionnement électrique tant en
Californie qu'au Brésil) et de la pré-crise économique
aux ÉU. Le capitalisme néolibéral, loin
d'être prêt à faire des concessions (ex.
Taxe Tobin) se crispe dans son offensive.
Les raisons en sont les divisions inter-impérialistes
surtout entre les ÉU et l'UE et la crainte de la dynamique
que pourraient entraîner de grandes réformes. [J'ajouterais
que la force du mouvement anti-globalisation, certainement un
irritant depuis Seattle à cause de ses victoires et de
sa dynamique de croissance, n'est pas telle qu'elle menace les
bases du capitalisme au point d'obliger le capital à
proposer de grandes réformes. Pour le moment, il lui
semble que la répression et la cooptation vont suffire.]
Cette crispation, avec le leadership de Bush, est en train de
causer une crise du multilatéralisme, de remise en question
du rôle des institutions de Bretton Woods et l'unilatéralisme
militaire des ÉU. On note aussi la probable incapacité
des ÉU, en pré-crise, d'avoir les moyens de sauver
les meubles advenant un effondrement financier par exemple dans
le cône sud de l'Amérique latine. Même l'électoralisme
en prend un coup tellement les peuples du Sud réalisent
que la réalité du pouvoir échappe à
leurs gouvernements.
Face au mouvement anti-globalisation, le capitalisme néolibéral
change de tactique. Il fera ses réunions dans des lieux
peu accessibles (la réunion de l'OMC au Quatar au début
novembre en sera le premier exemple puis le G-8 en Alberta en
juin) ou les annule (Barcelone) ou les raccourcit (FMI/BM à
Washington à la fin septembre). Il accentue la répression
(gaz en grande quantité, balles de plastique, balles
réelles, périmètres de sécurité,
nombreuses arrestations et emprisonnement prolongé, blessés
et morts). Il tente de coopter dans un dialogue institutionnel
les grandes ONG et les grandes religions (réunion de
Prague avec Havel, refus des ONG britanniques à prendre
part à la grande manifestation de Gênes, collaboration
de Jubilee/Drop the Debt avec Blair et même Martin
).
Il tente de folkloriser le mouvement anti-globalisation en le
dépeignant comme de pseudo-guérillas tout en attaquant
sa légitimité démocratique qu'auraient,
eux, les chefs d'État. Finalement, il tente de récupérer
le discours du mouvement par exemple eu égard à
la lutte contre pauvreté.
On note un dynamisme particulier du mouvement paysan qui fait
face à une domination mondiale de 7 grands groupes fusionnant
les secteurs agro-chimiques, de mise en marché et des
semences qui cherchent à dominer grâce au brevetage
de la vie et aussi par la privatisation de l'eau dans le cadre
d'un marché mondialisé. Cette domination est facilitée
par une démission de l'État qui renonce à
contrôler les prix, à organiser l'aide technique
et la mise en marché. Cette offensive affecte toutes
les agricultrices, du Nord comme du Sud. Elle pose la nécessité
d'une réforme agraire impliquant la lutte pour la terre,
la souveraineté alimentaire, la lutte contre les transnationales
de l'agro-industrie et contre les OGM, pour un rôle régulateur
de l'État et la valorisation de la culture paysanne.
En ce qui concerne le mouvement anti-globalisation dans son
ensemble, on note sa croissance en capacité de mobilisation
de Seattle à Gênes, son extension à de plus
en plus de pays malgré d'importantes inégalités.
On voit une convergence mondiale des mouvements d'exclues tels
le mouvement paysan, des femmes et des jeunes. Reste à
résoudre, cependant, d'importantes contradictions :
· l'articulation entre les campagnes thématiques
(dette, transformation/abolition FMI/BM) et le mouvement global
anti-système (jeunesse, ATTAC)
· l'articulation entre les luttes au Nord, surtout centrées
sur la mobilisation lors de grandes rencontres internationales,
et le Sud, surtout centrées sur leurs luttes nationales
contre les politiques néolibérales (ex. Argentine,
Pays andins, Indes, Indonésie) et contre la mainmise
impérialiste (ex. Palestine, Iraq, Cuba, Colombie)
· l'articulation, dans chaque État et nation,
entre luttes anti-globalisation et luttes nationales (ex. aux
ÉU, la prépondérance des classes moyennes
blanches dans le mouvement anti-globalisation versus les luttes
populaires et syndicales où se retrouvent les non-blancs)
· l'articulation entre le mouvement anti-globalisation
et le mouvement syndical en particulier dans les pays impérialistes,
surtout l'Europe
Stratégie et tactique
Quel doivent être nos cibles ? Toutes ne sont pas d'accord
et on ne peut pas parler de consensus sur tout. Les grandes
institutions mondiales en font certainement parti. On semble
s'entendre que l'OMC devrait être la cible à privilégier
parce qu'elle est un lieu de décision qui concerne tous
les pays, du Nord comme du Sud, que c'est là que se prennent
les grandes orientations stratégiques définissant
le néolibéralisme et que, last but not the least,
qu'elle est l'institution la plus vulnérable de l'heure
étant donné le blocage Nord-Sud et ÉU-UE
qui rend très problématique la possibilité
du nouveau cycle du millénaire que la réunion
du Quatar devrait lancer. Il y a donc possibilité d'une
victoire tactique à court terme, d'où l'importance
de la mobilisation contre la rencontre du Quatar, qui gonflerait
encore les voiles du mouvement anti-globalisation.
Tous sont aussi d'accord qu'il faut distinguer entre institutions
de Bretton Woods, l'OTAN versus les Nations unies du moins l'ONU
moins le Conseil de sécurité. [Ne faudrait-il
pas corriger l'allure quelque peu " économiste "
de l'appel de Porto Alegre en renforçant son côté
émocratique, d'autant plus que l'annulation de la dette
publique du tiers monde et la taxe Tobin nécessitent,
du moins partiellement, des institutions de collecte et répartition
mondiales qui doivent être démocratiques ? Pourquoi
pas la revendication de la transformation de l'Assemblée
générale de l'ONU en parlement mondial élu
à la proportionnelle avec parité femme/homme quitte
à avoir une " chambre des nations " complémentaire
?]
Reste la question, surtout au niveau national, de savoir dans
quelle mesure faut-il cibler les banques et transnationales
versus les gouvernements. [Sans doute que, d'une part, faut-il
viser le blanc (les transnationales) pour tuer le noir (les
gouvernements) c'est-à-dire mobiliser aussi contre les
transnationales et banques pour exiger un contrôle gouvernemental
accrû et, d'autre part, distinguer les rapports de forces
entre pays impérialistes et dépendants et même
entre ÉU et les autres pays impérialistes.]
Un consensus fort s'est établi, traduit dans le titre
de la déclaration finale " Vers une alliance sociale
mondiale "
" comprise non comme une structure
ou un appareil international mais comme un processus croissant
de convergences des buts, des alternatives et des actions, diverses
et pluri-sectorielles, horizontales et flexibles, non comme
formule organisationnelle mais comme expression d'une nécessité
surgie d'en bas. " La déclaration propose que le
prochain Forum social mondial de Porto Alegre soit le cadre
d'une deuxième Rencontre internationale des mouvements
sociaux de sorte à ce que le Forum soit un espace d'échanges
pour avancer dans la construction de cette Alliance sociale
mondiale.
Cette alliance doit se faire entre organisations réellement
représentatives des secteurs populaires autour de luttes
globales et nationales pour des objectifs concrets dont le plus
important au niveau mondial est la lutte pour l'annulation de
la dette publique du tiers monde. La déclaration propose
d'ailleurs de tenir à " un Tribunal éthique
mondial de la dette externe, en février 2002, à
Porto Alegre (au moment du Forum social mondial) ". Lors
d'un atelier, j'ai proposé d'inclure la dette publique
mondiale, et non seulement du tiers monde, parce que cette dette
est aussi un fardeau pour le prolétariat des pays impérialistes
mais aussi parce cela renforcerait la lutte d'ensemble. Mon
d'intervention ne fut ni reprise ni rejetée. Disons que
la graine est semée, graine qu'appuie aussi le représentant
du CADTM.
Comme cette réunion était fortement américaine
dans sa composition, l'assemblée s'est entendue pour
donner la priorité à la lutte contre la ZLÉA
au niveau des Amériques, plus précisément
l'assemblée propose " d'organiser dans tous les
pays du continent américain un 'consulta' populaire durant
l'année 2002 (possiblement en octobre), pour que le peuple
se prononce à propos de la ZLÉA sous forme plébiscitaire.
"
L'assemblée a noté l'importance des rencontres
internationales portant sur l'agriculture. Elle souhaite le
succès de la rencontre de La Havane en septembre portant
sur la souveraineté alimentaire, une priorité
de Via Campesina avec la lutte contre les OGM. Cette rencontre
devrait préparer la mobilisation pour le Sommet mondial
sur la sécurité alimentaire à Rome au début
novembre où l'on souhaite qu'une réunion parallèle
arrive à élaborer une plate-forme mondiale pour
une agriculture favorable aux peuples du monde.
Finalement, on appelle à la mobilisation à l'occasion
de d'autres rencontres mondiales à commencer par celle
du FMI/BM à Washington à la fin septembre contre
la réunion de l'OMC au Quatar au début novembre.
Il a été entendu que l'on entend par une Alliance
sociale mondiale non pas un processus de réunions internationales
ni une " alliance de sigles ", ces espèces
de fronts amples qui inclut tout le monde
sauf le peuple.
On entend bien une convergence de luttes mondiales et nationales
autour d'objectifs communs. Il s'agit donc d'inviter les organisations
surtout impliquées dans les luttes globales de prendre
en considération les luttes nationales et locales et
celles impliquées dans les ces dernières d'introduire
dans leurs revendications les éléments prioritaires
des plate-formes mondiales en élaboration, dont l'annulation
de la dette publique et le rejet de la ZLÉA par voie
référendaire.
Ainsi, pense-t-on, arriverons-nous à commencer à
résoudre, d'une part, les contradictions au sein du mouvement
contre la globalisation (Nord-Sud, global-national, global-campagne,
lien avec les syndicats surtout du Nord) et, d'autre part, pourrons-nous
arriver à hausser qualitativement le niveau de mobilisation
(mobiliser des millions de personnes partout au lieu de centaines
de milliers à un seul endroit) pour contrer les nouvelles
tactiques des directions néolibérales.
[Sans prétendre résoudre par enchantement la
question de comment répondre à la " violence
", un tel saut qualitatif permettrait de créer les
conditions d'une possible solution. Est entendu ici que ce saut
qualitatif veut dire de plus grandes mobilisations encadrées
par de vastes Forum sociaux à la Gênes qui peuvent
encadrer très démocratiquement, et avec flexibilité
selon le rapport de forces et selon la conscience populaire,
la " diversité des tactiques " en deçà
de la provocation à la Black Block tout en laissant place
à une confrontation délimitée et consciente
à la Tutti blanci, par exemple pour percer des périmètres.]
Ce saut qualitatif voudrait aussi dire un niveau qualitativement
supérieur d'actions directes de masse dont des grèves
militantes même si au début ce ne serait qu'une
affaire d'une journée sinon de 10 minutes symboliques.
[Il faut ici signaler l'importance exemplaire de la mobilisation
canadienne contre l'OMC qui a été souligné
en sourdine à Mexico par le représentant de la
CUT. D'abord elle est amenée par une très vaste
coalition syndicale-femme-populaire-environnementale-religieuse.
Elle propose non seulement un important volet d'éducation
populaire mais elle est ouverte à des actions de "
perturbation économique " dont des " actions
directes " et peut-être même des " actions
en milieu de travail ". Quel que soit la modération
de la déclaration en préparation ou l'importance
du volet lobbying, la dynamique de cette mobilisation recèle
potentiellement une avancée qualitative qui pourrait
être renforcée si les forces anti-ZLÉA du
Québec et d'ailleurs joignent rapidement la campagne.
À nous de jouer en liant nos luttes locales et nationales
(syndicalisation de McDonald
). On verra ensuite pour le
G-8 en faisant le bilan de cette expérience.]
20 août 2001
Marc Bonhomme
[les passages en italiques entre crochets sont des commentaires
personnels]