Dernièrement, lors d'une réunion a Fes au Maroc,
dans le cadre du Festival International de la musique sacrée,
un ambassadeur français, chargé des investissements
étrangers en France, prenait la parole à propos
du développement. Il disait que ce dernier n'était
pas d'abord un problème de ressource, puisque des pays
très riches, tel le Congo, restaient sous développés.
Ce n'était pas non plus un problème de population,
puisque de nombreux pays très peuplés tels l'Inde,
restent en mauvaise posture. Il concluait que c'était
un problème de volonté, ce qui exigeait d'ailleurs
un surplus de spiritualité. Si des personnes investies
de telles responsabilités, donnent de semblables définitions
du développement, appliqués aux pays du Sud il
est grand temps de se pencher sur la question.
Qu'est ce que le développement ?
Nous nous placerons dès l'abord dans une perspective
d'action, c'est-à-dire celle qui envisage le développement
comme un processus dépendant d'acteurs sociaux. Nous
partons également de la prémisse que tous les
acteurs sociaux sont désireux de se développer,
c'est-à-dire de progresser dans leurs niveaux de vie
matérielle et culturelle, ce qui est l'expérience
vécue par tous ceux qui ont approché le problème
par la base. Si parfois cette volonté fait défaut,
c'est parce qu'elle a été étouffée
par la dureté de l'environnement économique.
1. Le développement, une tâche collective
Il s'agit d'un effort entrepris par un peuple, une région,
un continent, le monde. Sans doute, cela concerne-t-il aussi
chaque personne, mais la corruption que nous voulons mettre
en lumières est celle d'une réalisation collective,
formant le cadre indispensable à l'épanouissement
de tous les individus, qui n'existent qu'en fonction de membre
d'un groupe. De cela nous pouvons tirer deux conclusions.
1- Le développement du Sud doit être replacé
dans le cadre des rapports sociaux.
Nous abordons en premier lieu les rapports Nord/Sud, dont les
écarts sont croissant. Samir Amin calculait que les différences
de niveaux entre les pays les plus économiquement avancés
et les moins avancés étaient de trois à
quatre avant que ne se déploie le capitalisme industriel
et qu'il est de 60 aujourd'hui. C'est le résultat de
la logique même du développement capitaliste, car
le capital s'investit là où il est le plus rentable
et non pas là où les besoins sont les plus réels.
Mais les rapports sociaux internes dans les diverses sociétés
des pays en développement sont également à
prendre en considération. Le coefficient de Gini (utilisé
par les Nation Unies pour mesurer les écarts entre les
plus hauts et les plus bas revenus), s'accroissent partout.
Or, il ne s'agit pas seulement des sociétés du
Sud, mais également de celle du Nord, et de l'Est, surtout
à partir de la phase néolibérale de l'accumulation
du capital, c'est-à-dire à partir des années
1970.
La question du développement est donc inséparable
des rapports sociaux construits historiquement aussi bien entre
les matières du Nord et du Sud qu'à l'intérieur
de sociétés que la mondialisation de l'économie
a soumis à la logique d'accumulation du capitalisme.
D'où une deuxième proposition.
2- La première tâche consiste à lever les
obstacles au développement.
Avant de parler de développent, il faut en effet tout
d'abord écarter tout ce qui empêche les sociétés
ou les pays de se développer. À cet effet, il
y a deux types d'obstacles, externes et internes.
Les obstacles externes sont surtout de type macro économique.
Il s'agit entre autre de la fixation des prix des matières
premières et des produits agricoles, qui ont eu tendance
à diminuer au cours des dernières décennies.
Il s'agit également de la dette du Tiers monde, qui absorbe
une partie importante du surplus du Sud pour l'envoyer vers
le Nord. Il s'agit également d'autres phénomènes,
tels que les conditionalités inacceptables mises par
les organisations internationales financières pour accorder
du crédit ; l'existence de paradis fiscaux qui permettent
aux riches du Sud de transférer leurs biens vers le Nord
; les taux d'intérêts des capitaux placés
à court terme dont le niveau fait pression sur les salaires
; la spéculation financière, qui réduit
l'importance du capital productif ; la main mise des multinationales
sur les économies locales et les exigences fiscales,
financières, sans parler des freins sociaux qu'elles
imposent aux travailleurs ; le droit international dominé
par le droit des affaires ; une culture de la productivité
et de la compétitivité, aux dépends de
la satisfaction des besoins et de la solidarité ; un
racisme latent, mis au service des intérêts économique
; les politiques migratoires ; l'encouragement à la fuite
des cerveaux, etc.
Bien que la levée de ces obstacles permettrait aux pays
que l'on appelle non sans ironie, en voie de développement
de choisir eux-mêmes le chemin à parcourir, de
mieux répondre aux besoins fondamentaux de leur population
et d'investir dans les domaines sociaux et culturels. En fait,
l'ensemble de ces obstacles constitue une sorte de camisole
de force que l'on impose aux sociétés du Sud,
suite à quoi on ose leur dire : "lève toi
et marche". C'est elles qui sont culpabilisées pour
les médiocres résultats ou les échecs retentissants.
Mais il existe aussi des obstacles internes, souvent d'ailleurs
renforcés par l'extérieur, et ils peuvent être
nombreux. Citons la tenure des terres, empêchant de véritables
réformes agraires ; les mécanismes d'enrichissement
favorisés par les politiques fiscales qui permettent
aux riches d'échapper aux impôts ; les privatisations
exigées par des organismes financiers internationaux
qui relèvent de la piraterie en renforçant à
la fois les structures sociales internes, puisque seules les
oligarchies peuvent racheter, même à bas prix,
le patrimoine collectif, mais aussi la dépendance extérieure,
les capitaux étrangers profitant de ce genre de situation
; affaiblissement des mesures de sécurité sociale,
pour favoriser la rentabilité du capital ; la diminution
des salaires réels ; le renforcement des inégalités
de genre ; la corruption ; etc. Ces obstacles internes ajoutés
aux obstacles externes rendent le développement presque
impossible et la première tâche consiste donc à
lutter pour leur suppression.
3- Les fausses solutions à de vrais problèmes
Non seulement il s'agit de lever les obstacles au développement,
mais il faut également éviter de tomber dans le
piège des fausses solutions. Nous en citerons quelques
unes.
1) La lutte contre la pauvreté
Les programmes internationaux de lutte contre la pauvreté,
sont généralement destinés à agir
sur les effets et non pas sur les causes. Certains peuvent être
valables en eux-mêmes, mais ils sont conçus dans
une philosophie erronée. En effet, pour le système
capitaliste dominant, la pauvreté devient un phénomène
dangereux, car il risque de provoquer des troubles sociaux et
politiques. Par ailleurs, les moyens de communication publient
constamment des images de la pauvreté dans le monde qui
deviennent difficilement supportables. Cependant, la lutte contre
la pauvreté, ainsi conçue, permet de ne pas se
poser les questions fondamentales, c'est-à-dire celles
des obstacles mis au développement et des causes fondamentales
de la pauvreté. On pourrait faire un parallèle
avec le XIXe, lorsqu'en Europe, la bourgeoisie favorisait la
charité pour répondre à la question ouvrière.
Il s'agissait aussi de palier à des effets, sans s'adresser
aux causes.
La Banque mondiale s'est engagée vigoureusement dans
les programmes de lutte contre la pauvreté. À
son siège principal à Washington, une grande inscription
couvre le mur interne de l'entrée : "We have a dream,
a world free of poverty, (nous avons un rêve, un monde
libéré de la pauvreté)". Outre l'outrage
a Martin Luther King, une telle inscription mériterait
que l'on y ajoute : "And thanks to the World Bank it remains
a dream, (et grâce à la Banque Mondiale cela reste
un rêve) ! Cette inscription est peut être l'expression
la plus symbolique de l'illusion créée par les
pauvres et de l'hypocrisie des possédants.
Certes faut-il donc d'abord lever les obstacles, mais des actions
immédiates et ponctuelles sont également nécessaires,
car la pauvreté, la faim, la misère, ne sont pas
pour demain, elles existent aujourd'hui. La manière de
réaliser de tels programmes doit consister essentiellement
à appuyer les initiatives des plus pauvres et il en existe
une infinité et non pas a créer une dépendance
accrue, qui enfonce les gens dans une culture de l'assistance.
2) L'action humanitaire
C'est pour la même raison que précédemment
et qu'il s'agit d'une fausse solution. Ce genre d'actions, nécessaire
dans des cas exceptionnels, tend aussi à prolonger ou
même à créer des situations de dépendances.
Si elle ne sont pas menées avec une vision de développement,
elles tuent les initiatives locales, pour une longue période,
alors que l'action en faveur du développement doit précisément
ôter les obstacles qui empêchent de les réaliser.
Par ailleurs, l'action humanitaire, très valorisée
par les médias aujourd'hui, est aussi souvent un prétexte
ou une excuse, pour une ingérence politique, qui va même
jusqu'à l'intervention militaire, comme on l'a vu au
Kosovo, ou en Afghanistan. Sans sous-estimer l'humanité,
il faut le replacer dans son cadre.
3) L'action culturelle
Ce genre d'initiatives vit dans l'éducation un facteur
clé.
Elles sont souvent basées sur une vision culturaliste
de la réalité, ignorant l'existence de rapports
sociaux. Or, sans changer ces derniers, l'accent mis sur l'éducation
devient un alibi. On connaît trop bien le lien entre les
niveaux d'éducation et la place des individus dans la
structure de la société. On sait aussi que bien
des programmes d'éducation formelle consistent à
intégrer les individus dans le système idéologique
dominant, alors qu'un véritable effort d'éducation,
central pour le développement, consiste à rendre
les peuples capables de prendre en main leur propre destinée.
Cela signifie le développement d'une politique d'éducation
populaire, basée sur d'autres valeurs que l'éducation
formelle et procédant d'une "conscientisation",
sociale et culturelle, dans la ligne de ce qu'avait réalisé
Paulo Freire au Brésil.
4) Le micro crédit
Le micro crédit est certes une initiative intéressante
et souvent utile, mais elle se situe le plus souvent dans des
contextes qui l'empêchent d'être véritablement
efficaces, où, pire encore, qui permettent de ne rien
changer aux structures existantes.
Au Nicaragua, par exemple, le micro crédit est proposé
pour palier à la carence du système économique
du marché. En effet, depuis l'orientation libérale
de l'économie on a privatisé toutes les banques,
y compris celles qui faisaient des crédits aux coopératives
agricoles et aux petits paysans. Ces derniers n'ont plus d'accès
aux crédits, car ils n'ont pas suffisamment de garanties
à offrir aux banques. Le micro crédit organisé
par les ONG ou l'aide extérieure devient alors un appui
indirect aux politiques favorisant l'accumulation privée,
car ils allègent quelque peu le fardeau d'une partie
des plus pauvres, ils ne vont pas plus loin.
Par ailleurs, le micro crédit place la solution exclusivement
entre les mains des individus. Au Bangladesh, par exemple, la
Grameen Bank, qui a aidé des millions de femmes, a certes
amélioré le sort de beaucoup d'entre-elles, mais
n'a nullement changé les structures sociales qui maintiennent
les populations paysannes dans une dépendance structurelle.
En Chine, dans la province de Shianshi, de 50 millions d'habitants,
les programmes de lutte contre la pauvreté envisagent
comme solution le micro crédit, alors que la sécurité
sociale pour ceux qui perdent leur emploi, à cause des
fermetures d'usines, reste tout à fait embryonnaire.
Les programmes de lutte contre la pauvreté, aidés
financièrement par des prêts de la Banque Mondiale,
devraient permettre, selon les responsables chinois, de faire
de chacun des chômeurs de petits entrepreneurs. Or, la
situation générale ne permettra évidemment
pas à tous de le devenir.
4- Les aspects culturels du développement : les mentalités
Il ne s'agit pas de poser le problème du développement
uniquement en terme de structures économiques sociales
et politiques, en oubliant que ce sont des acteurs sociaux qui
agissent. Comme exprimé plus haut, tout être humain
a le désir du développement. Cela fait partie
de sa subjectivité. Le problème consiste donc,
d'une part à construire un environnement qui n'empêche
pas ce désir de pouvoir s'accomplir et d'autre part d'accompagner
socialement et culturellement les personnes dans la transformation
des mentalités. Aujourd'hui, dans un monde devenu plus
complexe, à la fois dans ses rapports à la nature
et dans ses rapports sociaux, il est important de faire entrer
les mentalités dans une pensée analytique, remettant
les causes des phénomènes dans leur propre champs.
En effet, il est important de ne pas construire et reproduire
des explications illusoires des rapports à la nature,
afin de pouvoir réaliser les tâches nécessaires
pour la survie et le développement. Il en est de même
pour la société, la conscience du fait que les
rapports sociaux sont construits et non pas imposés de
l'extérieur par un ordre immuable est nécessaire
pour une évolution sociale positive.
Cependant, une telle transformation des mentalités ne
peut être imposée de l'extérieur. Il s'agit
d'une éducation par l'action, permettant aux personnes
humaines d'expérimenter leur propres capacités,
par le biais de pratiques, telles que les coopératives,
la participation réelle dans une démocratie à
la base. Tout cela demande aussi une pédagogie active,
partant du connu pour découvrir les nouvelles perspectives
et accompagnée par l'éducation comme système
formel pour parachever le travail.
5- Quel développement faut-il promouvoir ?
Trois éléments évidemment très
généraux, semblent et pouvoir orienter toute action
de développement.
1) Le développement doit répondre aux besoins
de tous les peuples et de tous les groupes sociaux et non pas
en suivant les impératifs du marché international,
tel qu'il fut imposé par les institutions de Bretton
Woods. Certaines économies du Sud l'ont payé chèrement
et d'autres commencent à s'orienter autrement.
2) Le développement doit rester respectueux des ressources
naturelles et de l'équilibre écologique. Or, les
catastrophes écologiques auxquelles ont abouti les politiques
économiques de la modernité capitaliste, témoignent
des contradictions de sa logique.
3) Le développement doit être au service des êtres
humains, et ne pas les entraîner, sous prétexte
de croissance dans des pratiques destructrices de leur identification
physique et culturelle. Chaque année, selon les statistiques
de l'Organisation internationale du Travail (OIT), il y a 1
200 000 accidents mortels de travail, dont la majorité
se situent dans le Sud et la plupart sont dus au non respect
des règles de sécurité, afin d'augmenter
la productivité et la compétitivité. Peut-on
passer sous silence les conditions de travail de la sous-traitance,
permettant de créer de la richesse, en écrasant
socialement et psychologiquement des millions d'êtres
humains ? On ne peut oublier non plus la manière dont
aujourd'hui le travail est redéfini, dérégulé,
délocalisé. Produire la richesse dans la logique
capitaliste correspond à bien des drames humains.
Il faut donc avoir un autre regard sur le développement,
sur la nature considérée non pas comme une ressource
à exploiter, mais comme un environnement dont les êtres
humains font eux-mêmes partie ; sur la solidarité
comme prévalant sur l'individualisme et la simple croissance
économique.
La société civile et son rôle
Ceci nous amène à poser la question des acteurs
du développement. Quand à Porto Alegre, il fut
affirmé : Un Autre monde est-il possible, c'était
en fonction d'une possibilité de changer la société,
ce qui n'est pas un processus automatique dans ce contexte le
rôle de la société civile dans le développement
prend toute sa dimension. Il est donc important d'essayer d'abord
de savoir ce qu'elle signifie.
1. Qu'est ce que la société civile ?
Il y a plusieurs conceptions de la société civile.
La première pourrait être appelée une conception
naïve, que l'on rencontre souvent dans les ONG, les Églises,
les associations volontaires et qui conçoivent la société
civile comme l'ensemble des gens bons, de tous ceux qui veulent
le bien. C'est une conception naïve et même quelque
peu angélique, car il est évident que la société
civile est socialement diversifiée. En effet, pour être
bref, on peut, dans la perspective de d'Antonio Gramsci, considérer
la société civile comme l'espace social situé
entre et le marché d'une part et l'État de l'autre.
Il existe aussi, une conception bourgeoise de la société
civile, qui la définit comme l'ensemble des individus
qui entreprennent et qu'il faut évidemment encourager.
Ils sont appuyés par les appareils d'État, tels
que l'éducation, la santé, qui permettent de reproduire
la société et également par les organisations
volontaires, ONG, etc. qui aident à palier aux failles
du système. Aujourd'hui, parallèlement au développement
de l'économie capitaliste de marché, la pensée
dominante favorise ce concept de société civile
et désire amplifier son espace, ce qui dans la pensée
néolibérale signifie réduire la place de
l'État. On voit même la Banque Mondiale parler
d'une société civile mondiale et recommander à
ses clients le développement de la société
civile.
Mais il y a une troisième conception, que nous pourrions
appeler analytique et qui envisage la société
civile comme un lieu de lutte sociale. En effet, il y a la société
civile dans d'en haut et la société civile d'en
bas, c'est-à-dire les associations, groupements, organisations
sociales, culturelles, politiques, de ceux dont les intérêts
se construisent autour de l'accumulation du capital et les mêmes
institutions de ceux qui luttent pour plus de justice sociale.
Sur le plan mondial, on pourrait dire que la société
civile d'en haut se réunit à Davos, et celle du
Sud se à Porto Alegre.
2. La soumission de la société civile au marché
Le marché tend de plus en plus à contrôler
la société civile, en faisant de tout une marchandise,
y compris l'éducation, la santé, la sécurité
sociale, etc. Par ailleurs, comme le marché et sa logique
tendent aussi à instrumentaliser l'État, c'est
évidemment la société civile d'en haut
qui domine l'essentiel des décisions. Cela se manifeste
également sur le plan international où les organisations
internationales liées aux Nations Unies sont véritablement
colonisées par les entreprises transnationales et où
les grands organismes financiers internationaux prennent le
pas sur les autres.
3. Le rôle de la société civile d'en bas
Si nous parlons de développement, il s'agit évidemment
d'initiatives prises par la société civile d'en
bas. En effet, de nombreux mouvements sociaux se font jour,
dont il est important d'analyser à la fois la consistance
et les fonctions
1- Le développement des mouvements sociaux
Nous pouvons distinguer aujourd'hui deux grands types de mouvements
sociaux. Il y a tout d'abord ceux qui sont nés de la
contradiction sociale entre le capital et le travail. Il s'agit
essentiellement des organisations de travailleurs, telles qu'elles
se sont développées déjà au XIXe
siècle et qui aujourd'hui s'étendent dans de nouvelles
ères géographiques à travers le monde et
également dans de nouveaux secteurs, restés précédemment
dans des statuts de relatives autonomies. Même si le néolibéralisme
a réduit le pouvoir réel des organisations ouvrières
dans les régions industrielles, ces dernières,
de même que certains mouvements paysans restent importants
et même fondamentaux comme expressions de la société
civile d'en bas.
Mais nous assistons aujourd'hui à un phénomène
relativement nouveau, celui du développement de très
nombreux autres mouvements sociaux, dans des secteurs et des
lieux de plus en plus nombreux. Le lien entre le développement
de l'économie capitaliste de marché et la naissance
de ces mouvements est très clair, même s'il n'est
pas toujours perçu comme tel par les intéressés.
En effet, le capitalisme étend son influence sur toutes
les populations du monde aujourd'hui, non pas tellement de manière
directe, par un rapport salarial capital/travail, mais de manière
indirecte. Il s'agit des phénomènes auxquels nous
avons déjà fait allusion, la fixation des prix
des matières premières, la dette du Tiers monde,
les paradis fiscaux, etc., toutes situations qui fragilisent
des couches sociales de plus en plus nombreuses.
C'est pour cela que l'on voit se développer et se radicaliser
certains mouvements féminins, car on assiste a une féminisation
de la pauvreté et à une augmentation de la violence
intrafamiliale due aux situations de misère. Les luttes
des peuples autochtones deviennent plus visibles et s'inscrivent
à l'intérieur des politiques macro économiques,
comme dans le cas du Chiapas au Mexique, où l'insurrection
zapatiste ne se limite pas uniquement à revendique les
droits des peuples indigènes, mais s'opposer aussi à
l'intégration dépendante de l'économie
mexicaine dans celle des États-Unis par l'établissement
de la Zone de libre échange. On pourrait également
citer les mouvements écologistes, les mouvements de jeunes,
etc.
Sans doute, aucun des problèmes auxquels s'adressent
ces divers mouvements n'ont été créés
par le système capitaliste, mais le développement
de la logique de ce dernier tend à accentuer leur gravité,
soit que ces situation soient instrumentalisées par le
capitalisme (un salaire plus bas pour les femmes, par exemple),
soit que la logique économique du marché capitaliste
aboutisse à détruire de plus en plus de groupes
sociaux (par exemple les dalits, c'est-à-dire les hors
castes, en Inde).
2- La fonction de la société civile d'en bas
pour la transformation des structures qui font obstacle au développement
est triple.
Tout d'abord, délégitimer le système actuel,
d'abord parce qu'il ne répond pas aux fonctions essentielles
de l'économie, c'est-à-dire fournir la base matérielle
nécessaire à la vie physique et culturelle de
tous les êtres humains à travers le monde et ensuite
en fonction des injustices qui sont créées. En
délégitimant, on est nécessairement amené
à proposer un autre développement. À celui
qui fut le projet de l'esprit scientiste et rationaliste si
fonctionnel pour le développement du capitalisme, doit
succéder un développement orienté sur le
bien être humain individuel et collectif, construit sur
des alternatives réelles.
3 Ensuite, construire des convergences, afin d'édifier
un nouveau rapport de force. Il s'agit de mises en commun entre
les différentes forces sociales et mouvements sociaux,
sans que chacun ne perde sa spécificité. En effet,
seul un nouveau rapport de force pourra faire changer les structures
sociales. Ce sera un dur et long combat, car il y aura des réactions
importantes d'ordre économique, administratif, politique
et même policier et militaire. Il s'agira également
de résister à toutes les tentatives de cooptation
de la part du système économique et de ses institutions,
pour intégrer les mouvements sociaux dans leur logique
et leur faire perdre ainsi leur pouvoir de contestation.
4 Proposer des alternatives. Celles-ci existent dans tous
les domaines et c'est plutôt la volonté politique
de les mettre en oeuvre qui manque. Il appartient cependant
à la société civile d'en bas de proposer
ses alternatives, aussi bien les utopies, c'est-à-dire
le type de société que l'on veut construire, que
les propositions à moyen terme, celles qui prendront
du temps, parce qu'elle sont complexes ou parce qu'elles rencontreront
beaucoup de résistances et finalement celles à
court terme, qu'il est possible d'envisager ensemble dans un
avenir prévisible.
Conclusion
Il est important de développer une vision d'ensemble
lorsque l'on aborde les problèmes de développement
où que l'on traite de la lutte contre la pauvreté.
Tous les secteurs sont concernés et cela s'inscrit dans
l'histoire sociale de l'humanité. On ne peut en effet
séparer ces problèmes de la longue genèse
des inégalités sociales et des dominations. On
ne peut l'isoler de la réalité internationale
des rapports Nord/Sud ni des structures sociales internes de
chacune des sociétés. Le problème du développement
reste le défis fondamental pour tous, avec, aujourd'hui
on le sait, des solutions possibles tant à la micro qu'à
la macro dimension. Elle dépendent finalement de la volonté
politique et des forces sociales qui pourrait les mettre en
jeu.
Novembre 2001
François Houtart