Après Moulinex et Renault à Vilvorde il y a trois
ans, Alcatel et Elf Aquitaine au début de 1999, Sony
qui décidait cyniquement 17 000 suppressions d'emplois
" pour satisfaire ses actionnaires ", c'était
au tour de Michelin d'annoncer, il y a quelques mois 7 500 suppressions
d'emplois en même temps que la progression de ses bénéfices
: 17,3% pour le seul premier semestre 1999. Le " plan social
", c'est-à-dire la réduction de 10 à
20 % des effectifs de salariés, ou leur non remplacement,
est devenu une méthode systématique de "
gouvernement d'entreprise ". Voici deux décennies,
les licenciements étaient justifiés au nom d'une
rentabilité et d'une compétitivité compromises
qu'il fallait restaurer ; aujourd'hui ils le sont pour saluer
les performances et les pousser plus encore. Autrefois, on licenciait
parce que, soi-disant, les affaires allaient mal, maintenant
parce qu'elles vont bien et qu'il est possible de faire mieux.
Cette planification méthodique se déroule dans
le cadre de gigantesques restructurations à l'échelle
planétaire. Les fusions et concentrations, à coups
d'OPA et d'OPE, amicales ou agressives, se multiplient dans
tous les secteurs : agro-alimentaire, automobile, chimie, aéronautique,
transports, électronique, informatique, télécommunications,
banques, assurances, etc. Cette réalité est présentée
aux populations du monde entier comme inéluctable et,
surtout, conforme à l'intérêt de tous les
habitants de la Terre.
Peu importe que ces " bienfaits" se soldent par un
chômage ou sous-emploi d'environ 800 millions de personnes
dans le monde, et par des inégalités croissantes
: en trois décennies, entre les 20 % les plus pauvres
et les 20 % les plus riches, elles sont passées de 1
à 30 à 1 à 80 ; les 200 personnes les plus
riches au monde ont une fortune égale au revenu annuel
des 2,3 milliards les plus pauvres. Peu importe que les modes
de production et de consommation se révèlent dévastateurs
pour les écosystèmes et que l'alimentation soit
soumise à une uniformisation et surtout à une
dégradation catastrophique. Peu importe que 1,3 milliard
d'êtres humains aient moins d'un dollar par jour pour
vivre, et que, de surcroît, ils n'aient pas accès
à une eau potable. Peu importe puisque, dans chaque cas,
ces malheurs n'accablent que les plus pauvres. Dans le même
temps, 28 000 cadres (très) supérieurs français
ont accumulé une plus-value potentielle de 45,4 milliards
de francs grâce à leurs options sur titres (stock-options).
Aux Etats-Unis, 1% de la population reçoit autant de
revenus que les 38 % les plus pauvres, et, entre 1977 et 1999,
les revenus nets d'impôt et d'inflation ont augmenté
de 115 % pour le quintile le plus riche, les revenus médians
de 8 % seulement, tandis que les revenus nets du quintile le
plus pauvre diminuaient de 15 %.
La mobilisation des citoyens contre l'Accord multilatéral
sur l'investissement (AMI) il y a deux ans, autour de la taxe
Tobin ensuite, celle d'une partie des agriculteurs contre la
mal-bouffe, et récemment celle des ONG contre l'accentuation
de la marchandisation du monde qui se préparait dans
les couloirs de l'OMC, montrent que, progressivement, les peuples
relient ces problèmes entre eux. Attac entend continuer
de réfléchir et d'agir pour favoriser la mobilisation
des salariés et des citoyens sur le thème de l'emploi
que le capitalisme financier sacrifie délibérément.
1. La finance se développe au détriment de l'emploi,
des conditions de travail et des salaires
1.1. Les causes du chômage
L'explosion du chômage dans la plupart des pays occidentaux
à partir du milieu de la décennie 1970 s'explique
principalement par la conjonction de trois phénomènes
:
· une croissance économique moindre, parce que
les taux de profit espérés étaient jugés
alors insuffisants par les détenteurs de capitaux pour
qu'ils soient intéressés par des perspectives
d'investissement ; le modèle de développement
engendrant des gains de productivité très élevés
s'essoufflait, en même temps qu'il se révélait
écologiquement insoutenable à long terme ;
· une utilisation des gains de productivité permis
par l'introduction des nouvelles techniques au profit quasi
exclusif des revenus du capital, au détriment des salaires
et du temps de travail dont la réduction ne fut pas à
la hauteur de ce qui eût été nécessaire
au regard de la croissance de la population active ;
· des politiques économiques à " contre-emploi
" : à la pratique de la régulation de l'activité
économique s'est substituée la priorité
à la lutte contre l'inflation pour éviter aux
revenus financiers d'être érodés ; l'austérité
budgétaire et l'orthodoxie monétaire ont ainsi
empêché de mettre en uvre une véritable
lutte contre le chômage parce que celui-ci avait l'avantage,
pour les employeurs, de peser sur les salaires ; ce retournement
libéral des politiques économiques, à la
fin des années 70, correspond à l'entrée
dans une nouvelle phase de l'accumulation du capital marquée
par la rigueur et la précarité imposées
aux salariés, et par l'orthodoxie monétaire.
1.2. Souffrance sociale et souffrance au travail
Souffrance due à l'exclusion de la société
par la privation d'emploi, de logement, d'éducation ou
de soins, et souffrance due à la précarisation
du travail sont intimement liées au fonctionnement du
système, bien que frappant des individus différents.
D'un côté, chômage et faiblesse des minima
sociaux ; de l'autre, multiplication des contrats à durée
déterminée (surtout pour les jeunes), temps partiel
imposé (surtout aux femmes), faibles salaires, vulnérabilité
permanente des travailleurs face aux exigences financières
des actionnaires, tendance à adapter constamment l'organisation
du travail aux besoins d'une production flexible.
Les conditions de travail se dégradent dans l'industrie
et les services de grande échelle. Les méthodes
de gestion en vigueur dans l'industrie américaine se
répandent : le travail s'intensifie dans le but d'atteindre
le zéro temps mort, le record étant actuellement
détenu par General Motors qui a réussi à
obtenir 57 secondes de travail effectif par minute en moyenne.
Le résultat est que les accidents du travail sont en
recrudescence et que le stress augmente.
1.3. La logique financière dicte sa loi
Dans une période où la croissance économique
était relativement faible dans la plupart des pays industrialisés,
le choix libéral a consisté à modifier
considérablement le partage de la valeur ajoutée
entre salaires et profits, en faveur des seconds : ainsi, en
France, la part des salaires est passée, en vingt ans,
de 70% à moins de 60% du produit intérieur brut
(PIB). Cela a enclenché un mécanisme redoutable
: plus la répartition s'effectue au détriment
de la masse salariale, plus les détenteurs de capitaux
comprennent que le taux de profit qu'ils peuvent attendre s'accroît
lui aussi. La norme moyenne de profit s'élève
donc progressivement - elle est passée de 12 à
15 %, puis 18 % -, ce qui permet aux actionnaires et à
leurs représentants d'exercer un chantage à l'emploi
croissant sur les salariés dont la situation se précarise
davantage au fur et à mesure que les dirigeants utilisent
les licenciements comme mode de gestion. Dès lors, pour
une même production, la part allant aux profits augmentant,
le cours de l'action monte en Bourse. Il monte parce que davantage
de détenteurs de capitaux veulent en acquérir.
Et leur demande augmente parce qu'ils anticipent les futurs
bénéfices dont le prix de l'action est le reflet.
Ce n'est donc pas le coût du travail qui fait obstacle
à l'emploi, c'est d'abord le coût du capital, c'est-à-dire
l'élévation permanente de l'exigence de rentabilité.
Puisque le sacrifice de l'emploi a sa traduction immédiate
en Bourse, la finance organise le report systématique
du risque de l'investissement et du risque spéculatif
sur le salariat. Idéologiquement, on relance le thème
de l'association capital-travail par le biais de l'actionnariat
salarié ou par celui des fonds de pension. Associer le
travail à sa propre aliénation est un vieux rêve
de la classe dominante : le salarié-actionnaire schizophrène
voterait enfin son propre licenciement, et le retraité
celui de son enfant.
Plus grave peut-être encore, compte tenu de la mondialisation
financière, la généralisation des fonds
de pension ou des fonds d'épargne salariale accroîtrait
l'exploitation subie par les salariés des pays les plus
pauvres, victimes de l'appétit des firmes transnationales
dans le capital desquelles l'épargne des salariés
des pays riches ne manquerait pas d'être placée.
2. Pour un plein emploi d'un nouveau type
2.1. Une vision tournée non vers le passé, mais
vers l'avenir
Adopter le parti pris que le plein emploi est possible implique
au préalable d'avoir reconnu qu'il était souhaitable.
Un large débat est aujourd'hui engagé sur cette
question, sans être tranché. Il est cependant possible
de retenir l'idée suivante : l'emploi n'est pas une condition
suffisante pour que tous les individus accèdent à
une citoyenneté démocratique, mais il en reste
une condition nécessaire.
Viser le plein emploi ne signifie pas vouloir un retour au
type qui a eu cours pendant la période (assez brève)
des Trente Glorieuses. Plus précisément, il ne
s'agit pas de la croyance en un retour au plein emploi majoritairement
industriel et principalement masculin. Il ne s'agit pas non
plus de fonder un plein emploi sur une croissance économique
du type de celle qui était en vigueur à cette
époque, à la fois sur le plan quantitatif (des
taux très élevés) et sur le plan qualitatif
(un développement dévastateur pour la planète).
Même si la fin du salariat peut constituer un objectif
légitime de long terme, pour signifier le dépassement
du système capitaliste fondé sur ce rapport social,
la disparition du travail salarié ne se réalise
pas actuellement sous nos yeux : un malentendu regrettable a
été créé par la confusion entre
la précarisation du travail salarié - caractérisée,
notamment, par la menace du chômage et le laminage des
protections sociales qui s'étaient peu à peu attachées
à la condition salariale - et la disparition du salariat
en tant que rapport social.
Dès lors, l'objectif du plein emploi doit s'entendre
comme celui d'un emploi décent pour tous. Il se démarque
radicalement des visions libérales du plein emploi parce
que celles-ci :
· ou bien considèrent qu'un taux de chômage
descendu autour de 9 %, comme l'indique le rapport du commissaire
au plan Jean-Michel Charpin, correspondrait à un taux
de chômage acceptable, parce qu'en deçà
le risque de reprise de l'inflation serait trop grand, accréditant
l'idée qu'existerait un taux de chômage "
naturel " qu'il serait dangereux de faire disparaître
;
· ou bien envisagent la multiplication des temps partiels,
accompagnés de réductions de salaires mal compensées
par d'éventuelles aides sociales, au risque d'aggraver
les inégalités, notamment entre hommes et femmes.
Ce " plein emploi " à l'américaine,
assorti d'une montée de la pauvreté signifierait
un recul social de très grande ampleur. Un large débat
a lieu actuellement entre ceux qui pensent souhaitable de verser
un revenu d'existence ou une allocation universelle - indépendants
de l'emploi - et ceux qui privilégient la lutte pour
le plein emploi. Les diverses sensibilités sur cette
discussion pourraient s'accorder sur les deux points suivants
:
· Le principal danger d'une priorité absolue donnée
à l'allocation universelle serait de mettre une croix
sur l'insertion globale de tous les individus à tous
les compartiments de la vie sociale ; à l'inverse, le
risque d'un refus de cette allocation serait de ne pas tenir
compte des situations d'urgence provoquées par le chômage
et l'exclusion. Dans ces conditions, s'imposent un relèvement
immédiat et important des " minima sociaux "
et un élargissement du revenu social garanti aux catégories
qui sont aujourd'hui exclues soit du RMI (jeunes de moins de
18 à 25 ans) soit d'allocations chômage. Le versement
de ce revenu garanti par la société serait permanent
et inconditionnel, tant qu'elle n'a pas réussi à
éradiquer le chômage. Ses bénéficiaires
ne seraient pas soumis à des contrôles administratifs,
aussi tatillons que stigmatisants.
· Le versement de ce revenu n'évite l'approfondissement
de la coupure entre ceux qui peuvent s'insérer globalement
dans la société et les " assistés
" que si une action efficace pour le plein emploi est menée.
Dans cette perspective, la réduction de la durée
du travail, immédiatement vers 35 heures, rapidement
vers 32 heures ou 4 jours par semaine, est un impératif,
en privilégiant la progression des salaires faibles et
modestes pour réduire les inégalités, et
en évitant l'intensification du travail et la désarticulation
des temps sociaux et familiaux.
2.2. Pour un emploi dans un secteur marchand maîtrisé
A la logique du profit doit se substituer celle des besoins
essentiels pour toute la population. A la logique de la réparation
des gaspillages et de la destruction de l'environnement doit
se substituer celle des besoins sociaux orientés vers
un mode de vie de qualité, soutenable à long terme
: durable pour que les générations futures aient
des conditions meilleures, et supportable par les écosystèmes.
Les congratulations échangées entre gouvernants,
dirigeants et commentateurs à l'occasion du retour de
la croissance économique ne sauraient faire oublier,
d'une part, les dégâts écologiques de celle-ci,
lorsqu'elle est menée par la recherche du profit, et,
d'autre part, ses dégâts sociaux lorsque les gains
de productivité sont accaparés essentiellement
par les détenteurs de revenus financiers. La réduction
du temps de travail, outre son effet positif pour accroître
l'emploi, peut aider à renverser la tendance à
cet accaparement des gains de productivité. Mais, de
ce point de vue, la deuxième loi Aubry sur les 35 heures
affaiblit encore davantage les modestes possibilités
ouvertes par la première, puisque l'obligation de créer
6 % d'emplois pour que les entreprises puissent bénéficier
des subventions de l'Etat a disparu. Les suppressions d'emplois
annoncées chez Michelin rappellent l'urgence de renverser
radicalement le risque : c'est aux actionnaires de supporter
le risque de leur mise de fonds et non aux salariés.
Il faut agir pour donner une portée réelle à
la réduction du temps de travail. Il faut lutter contre
le sous-emploi, non pas en subventionnant massivement les emplois
à temps partiel et à bas salaires, mais en garantissant
que le temps partiel soit véritablement choisi : tout(e)
salarié(e) à temps partiel doit pouvoir demander
à passer à temps plein, à charge pour son
employeur de prouver l'impossibilité économique
de satisfaire cette demande le cas échéant. Il
convient de réfléchir à des dispositifs
obligeant les entreprises qui réalisent des bénéfices,
et qui, malgré cela, envisagent des compressions de personnel,
à prendre en charge les coûts sociaux engendrés
par leurs choix :
· en continuant à verser les salaires et les
cotisations correspondant aux emplois supprimés ou, tout
au moins, en versant les allocations chômage compensatrices
;
· en payant une taxe pour tout licenciement en cas de
situation économique florissante ;
· en restituant à l'Etat les subventions et allègements
de charges versés pour aider à l'emploi, et qui
l'ont été sans contrepartie.
Il faut compléter les sanctions précédentes
par des mesures préventives :
· la fixation des cotisations sociales proportionnellement
à la précarité des emplois offerts ;
· -l'obligation faite à l'employeur de rechercher
à temps toute mesure (réduction de la durée
du travail, moindre recours à la sous-traitance ou à
l'intérim, réduction des dividendes
) permettant
d'éviter les licenciements.
Plus fondamentalement, les représentants des travailleurs
et les comités d'entreprise doivent avoir les moyens
juridiques d'intervenir sur les choix économiques des
entreprises impliquant l'emploi, les conditions de travail,
les salaires et la qualité des produits, de telle sorte
que l'intérêt général prime sur les
intérêts financiers privés, et, si besoin
est, de s'opposer aux décisions préjudiciables
en usant d'un recours suspensif. Lorsque les conseils d'administration
et les comités d'entreprise entreront en conflit d'orientation,
l'arbitrage devra être rendu à l'aide de procédures
faisant appel à la collectivité. A cet égard,
les missions et les moyens de l'Inspection du travail doivent
être renforcés, de même que ceux des organes
de contrôle sanitaire lorsque la santé ou l'alimentation
sont en jeu. Enfin, une place doit être accordée
pour l'intervention des associations d'usagers et de consommateurs
: dans la période récente, elles ont prouvé
leur capacité à exprimer le point de vue citoyen.
Pour que les syndicats ne soient pas enfermés dans un
système de cogestion qui les paralyse dans leur action
revendicative, il faut clairement distinguer les structures
syndicales et les lieux d'intervention sur la gestion des entreprises.
La domination de la logique financière s'est accompagnée
d'un laminage des droits sociaux. Le droit du travail doit donc
être renforcé (sur le plan des salaires minima,
des contrats de travail, de l'hygiène et la sécurité,
des protections pour les délégués, etc.).
Les mêmes garanties doivent être assurées
à tous les salariés, quel que soit le secteur,
dans toutes les entreprises, qu'elles soient donneuses d'ordres
ou sous-traitantes. Il faut élargir la responsabilité
sociale de l'employeur aux salariés sous-traitants ou
aux faux travailleurs indépendants, aussi bien en matière
de formation, de représentation du personnel, d'accidents
du travail, qu'en matière de suppressions d'emplois.
Mais le renforcement du droit du travail passe par une véritable
refondation de celui-ci autour d'un contrat d'emploi-formation
permanent garantissant le maintien des droits sociaux, même
en cas d'interruption de l'activité, et notamment la
pérennité du salaire.
2.3. Pour un emploi dans un secteur non marchand élargi
L'éloge de l'emploi dans le secteur non marchand doit
être résolument entrepris pour contrer le discrédit
dont il est l'objet dans la propagande libérale. Les
services non marchands créent de l'utilité, de
la valeur d'usage pour la population, mais pas de valeur d'échange
contenant un profit appropriable par des individus ou groupes
privés. Voilà la raison du pilonnage permanent
contre les services publics. Voilà pourquoi, au contraire,
il faut les défendre et les améliorer. De multiples
besoins restent aujourd'hui insatisfaits parce que le secteur
privé ne les juge pas rentables : par exemple, dans des
domaines anciens, comme la santé ou l'éducation,
et dans des domaines nouveaux, comme la protection de l'environnement
ou les services de proximité. De nombreux emplois peuvent
être créés, à condition de cesser
de les considérer comme improductifs - ils seront créés
en fonction de leur utilité sociale et non de leur rentabilité
- et à condition de cesser de les concevoir uniquement
à l'échelle étatique.
Dans ce secteur non marchand élargi où, notamment,
les structures associatives ou à but non lucratif ne
seraient plus les parents pauvres, les statuts et rémunérations
offerts aux salariés devraient être égaux
à ceux de tous les autres salariés. Au sein de
ce secteur non marchand élargi, l'activité exercée
serait pleine et entière, et ne serait pas une activité
de second ordre, tel que cela transparaît dans la distinction
inutile entre le plein emploi et la pleine activité.
Inutile, parce qu'à partir du moment où la société
reconnaît, par le biais du marché ou par un choix
collectif, à telle ou telle activité le mérite
de recevoir une rémunération, elle doit lui accorder
le statut d'activité économique, c'est-à-dire
le statut d'emploi et de travail égaux en droits pour
celui qui occupe l'un et exécute l'autre. Les activités
autres que celles qui produisent les biens et services, c'est-à-dire
les activités ludiques, culturelles, relationnelles,
sociales ou politiques sont essentielles à la vie sociale,
mais n'ont pas vocation à être marchandisées.
2.4. Un plein emploi de qualité suppose la maîtrise
démocratique de l'économie
L'économie capitaliste n'a jamais assuré spontanément
le plein emploi et ne le fera jamais. Même au cours des
Trente Glorieuses, le relatif plein emploi n'a pas résulté
du libre jeu du marché. Il fut la règle surtout
parce qu'un cadre institutionnel et politique rendait possible
un consensus provisoire pour la répartition des gains
de productivité. De même, le plein emploi qui est
nécessaire aujourd'hui ne pourra être obtenu par
le miracle du marché, aussi élevée que
la croissance de la production puisse être, si tant est
qu'elle soit souhaitable.
La maîtrise, par la société dans son ensemble,
des processus de régulation est une condition impérative
pour battre en brèche la financiarisation de l'économie.
Mais la régulation elle-même ne tombera pas du
ciel. Elle sera obtenue si une mobilisation importante se crée.
Mobilisation des salariés pour le maintien de leurs emplois
et la création de nouveaux (sinon quelle solidarité
pourrait naître avec les chômeurs ?). Mobilisation
de l'ensemble des citoyens autour des questions de société
que pose l'évolution actuelle.
Cette mobilisation a une dimension internationale évidente
dont voici quelques axes, pour beaucoup déjà popularisés
par Attac :
La taxation du capital
La taxe Tobin doit être insérée dans un
dispositif plus large, premièrement, de contrôle
des mouvements de capitaux et de leur utilisation, et, deuxièmement,
de transformation de la fiscalité pesant aujourd'hui
trop sur le travail et pas assez sur le capital.
La maîtrise de la monnaie
Le retour des banques centrales, et en premier lieu de la Banque
centrale européenne, dans le giron des pouvoirs démocratiques
est une absolue nécessité pour pouvoir fixer d'autres
priorités.
Une nouvelle politique européenne
Ces priorités devraient être un développement
orienté vers la soutenabilité à long terme
et vers l'emploi de qualité répondant aux besoins
des populations, ainsi que la reconnaissance des biens et services
collectifs, comme l'éducation, la santé, l'eau
et les transports.
L'annulation de la dette publique des pays pauvres pour de
nouveaux rapports Nord-Sud
L'annulation de la dette des pays pauvres doit être l'occasion,
pour ceux-ci, de desserrer les contraintes que font peser sur
eux les institutions financières et les firmes multinationales.
L'aide doit être repensée pour faciliter l'établissement
et le respect des libertés humaines et syndicales, la
protection des travailleurs et l'amélioration de leurs
conditions de vie, et le choix de modes de développement
respectueux de l'environnement.
A l'heure où le mode de développement impulsé
par le capitalisme se révèle à la fois
destructeur des liens sociaux et des cultures, et dévastateur
de la planète, nous souhaitons un mode de vie soutenable.
Pour cela, nous voulons le plein emploi par la réduction
du temps de travail, qui nous permette de nous réapproprier
les gains de productivité. Nous souhaitons un système
de retraites qui protège et développe les rapports
de solidarité, et non pas qui organise en Bourse la spoliation
des plus pauvres à travers le monde. Nous souhaitons
contrôler l'usage des biotechnologies contre les multinationales
qui tentent de privatiser le vivant. En posant les questions
de la propriété du fruit du travail, du partage
du travail à accomplir pour produire, de la définition
des biens collectifs qui ne peuvent être aliénés
comme l'eau, l'air, les ressources naturelles et les espèces
vivantes, on pose la question de la maîtrise du temps
- de notre temps - et celle de la vie. Ces questions appellent
des réponses aux antipodes des exigences de rentabilité
financière, et qui remettent l'accent sur la nécessaire
transformation des rapports de propriété et, au-delà,
des rapports sociaux.
Le conseil scientifique d'Attac